La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le paradoxe maternel

Ce texte aurait dû paraître vendredi dernier, juste avant la fête des Mères. Mon fils de 5 ans a eu la gastro, ou un truc peu hygiénique du genre, ça a été «l’enfer» (surtout pour une maman émétophobe), je vous passe les savoureux détails, bref, je n’y suis pas arrivée.



D’ailleurs, je me demande souvent comment on réussit à envoyer des fusées dans l’espace, mais qu’en 2022, on n’arrive toujours pas à enrayer ce satané virus ou qu’on n’ait pas encore trouvé la pilule qui ferme les tuyaux parce que les Gravol, bof...

Ce n’est pas la première fois que je ne parviens pas à rentrer un texte à temps pour cause d’enfants malades. Jamais rien de grave, heureusement. Or, c’est dans ces cas précis que je remercie le ciel d’avoir Françoise. S’il y avait plus de Françoise, les mères au travail se porteraient mieux.

Françoise. Elle est la rédactrice en chef d’Avenues.ca. C’est à l’initiative du Réseau FADOQ qu’elle a tout parti ça en 2015. Démarrer un nouveau média par les temps qui courent, ça prend un certain aplomb et de la vision. Il se trouve d’ailleurs que Avenues.ca cartonne.

Françoise n’aimera pas que j’écrive sur elle, mais la cause est noble puisqu’elle m’a inspiré cette chronique «tardive».

- Fais ton texte pour lundi, ça va être correct. Les enfants, leur santé, d’abord. Toujours.

- Ben non, j’me sens mal, Françoise, et je vais être off, la fête des Mères, c’est dimanche, pas lundi.

- Non, tu vas trouver comment rattraper ça. J’veux pas que tu perdes ton sujet, pis encore moins tes sous. GO.

Ça, c’est Françoise. Elle n’est pas parfaite, la Françoise, elle vous le dirait elle-même en riant. Mais du cœur, elle en a. Dans un poste de direction qu’elle occupait avant, elle permettait à certains parents de quitter plus tôt le boulot pour arriver à temps avant la fermeture de la garderie. Elle a ce supplément d’âme qui fait d’elle une dirigeante consciente des difficultés de la conciliation travail-famille, de la charge mentale, de la pression parentale. En journalisme comme dans plein de secteurs d’emploi compétitifs, ce n’est pas légion.

Une fois, une patronne m’a demandé en entrevue d’embauche dans une salle de nouvelles si j’avais des enfants ou si j’en voulais bientôt parce que tsé... On était en 2003. Pas en 1952. Puis, sa successeure a un jour envoyé promener un collègue qui voulait partir un peu plus tôt pour réussir à arriver à temps chez lui, question de passer l’Halloween avec ses enfants. «Toi pis tes cri**** d’enfants!», qu’elle lui avait rétorqué. Textuellement. Avec le sacre et tout. Je n’exagère pas. On ne travaillait pas dans un hôpital à faire des opérations à cœur ouvert, on écrivait des critiques de théâtre et de cinéma dans un journal.

S’il y avait plus d’employeurs dotés de ce supplément d’âme, de compréhension, je parie qu’il y aurait moins de mamans (et de papas) à carburer à l’Effexor pour garder la tête hors de l’eau en esquivant les vagues.

Photo: Zach Lucero, Unsplash

Maman à plein temps

Dans l’excellent et si criant de vérité film À plein temps d’Éric Gravel, Laure Calamy incarne une mère monoparentale vivant en périphérie qui doit chaque jour prendre le train pour se rendre à Paris travailler à l’entretien ménager d’un grand hôtel.

Avec les interminables grèves, son plus grand stress, c’est d’être à l’heure au boulot (elle part aux aurores), comme au retour, chez la gardienne qui récupère ses petits après l’école. Cette femme, elle est cassée, elle est un peu «morte en dedans». Elle a perdu sa joie quelque part entre la naissance de ses enfants, sa séparation d’avec le père qui, lui, a refait sa vie, et les allers-retours épuisants à courir, beau temps mauvais temps, entre les transports irréguliers, à s’excuser quand ce n’est pas parfait et quand les vagues, elle n’arrive pas à les éviter, voire à les sauter sans perdre pied. Parfois, elle raconte des bobards, use de stratagèmes douteux, fait du charme, bref, elle contourne ses principes pour tout boucler, sans trop dépasser des marges. Surtout, pour que les petits, eux, n’y voient que du feu.

Il n’y a rien de plus convaincant que l’acharnement d’une maman dont les dernières munitions viennent à manquer. Habiter Paris? Pff. N’y pensez même pas. Arriverait-elle à s’y loger avec ses deux flos? Auraient-ils seulement ce petit lopin de terre où faire du trampoline? On s’en doute, les digues finiront par céder. Ça ne peut pas toujours durer à ce rythme. Elle cassera. Pas longtemps, mais tout de même. Une maman – même un peu moins joyeuse – se relève toujours pour ses enfants.

Personnages de soutien

J’ignore si ce personnage se bourrait d’Effexor pour arriver à tout boucler. Or, je sais qu’autour de moi, il y a beaucoup de mamans sous antidépresseurs ou anxiolytiques, roue de secours qui fait que toutes les parties du corps, de la tête et de l’esprit puissent tenir ensemble, continuer à rouler toute la journée.

J’en connais aussi pour qui le petit verre de vin est de plus en plus suivi d’un deuxième et (oups) d’un troisième pour s’adoucir le tempérament en préparant un repas un peu équilibré – que personne n’aimera –, avant de sauter dans les devoirs, les bains, les histoires à raconter, la gestion des dodos. Surtout, ne pas oublier d’être cute, performante à la job, d’humeur fréquentable, alléluia. Est-ce qu’il a de la place pour un imprévu comme une gastro dans le scénario?

Je n’ose même pas imaginer la vie des mères qui vivent avec la maladie, un deuil, des soucis financiers, des jobs et salaires de misère. Celles qui n’arrivent pas à se trouver un logis à prix décent, celles qui, après une séparation, quittent un 1000 pieds carrés pour retourner vivre dans un trois et demi d’étudiante.

Qu’on se le dise, le rôle de mère, s’il est partout similaire, n’est pas égal pour toutes. Argent aidant en sapristi, la «misère» de la mère née du bon bord des privilèges sera toujours moins rude que pour l’autre qui en arrache à la fin du mois.

Bref, au sein d’entreprises, ça prendrait plus de Françoise au supplément d’âme pour, au moins, adoucir la vie de toutes celles qui esquivent les vagues, jonglent avec les imprévus, se contorsionnent au quotidien pour que tout fonctionne.

La maternité est un cirque. C’est très exaltant, c’est gratifiant, mais il n’en demeure pas moins que pour réussir les grands écarts qu’impose l’incassable modernité, ça prendrait plus d’humanité autour.