La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Le goût des jeunes filles

Le 13 octobre dernier paraissait sur le site environnemental et social Mother Nature Network un article titré Why Must We Hate The Things Teen Girls Love? qui remettait en question le regard moqueur, voire dévalorisant que beaucoup d’adultes posent sur les penchants culturels et artistiques des filles. En somme, pourquoi la valeur culturelle de One direction ou de Twilight serait moindre et plus méprisable que celle que les jeunes hommes, eux, aiment davantage…

À mon avis, ce phénomène ne touche pas que la culture anglophone nord-américaine. Au Québec francophone aussi il existe des gens pour rire des filles quand il est question de leurs passions pour des chanteuses comme Marie-Mai, pour l’univers d’Aurélie Laflamme ou d’une série télé diffusée sur Vrak 2, donnant ainsi l’impression de diminuer leurs inclinations, de les juger à travers ces tendances qui sont tout de même le reflet d’une génération et de ce qui lui tient à cœur.

Photo: Facebook Marie-Mai
Photo: Facebook Marie-Mai

«Je fais le vœu de ne jamais niaiser la chick lit d’ados et les boys bands (et anyway, de ne plus utiliser le terme chick-lit, point-barre)», a commenté sur sa page Facebook l’auteure et illustratrice jeunesse Élise Gravel (Le Grand Antonio, La clé à molette) en réagissant à ce texte du Mother Nature Network. Le terme «chick lit» (littérature de poulettes…), né à la fin des années 90 aux États-Unis dans la foulée du Journal de Bridget Jones et de Sex and The City, a une connotation péjorative à l’égard des femmes, comme si en optant pour ce genre tragico-humoristique, elles se contentaient de peu, incapables d’apprécier les grandes réflexions d’œuvres plus profondes. C’est comme si tout ce qui était lié à cette «chick lit» ou aux œuvres appréciées généralement par les jeunes femmes était de second ordre, tissé de propos rose nanane et sans substance. L’article stipule par ailleurs que ces préjugés sociaux ne touchent pas de la même façon les préférences culturelles des jeunes hommes.

Rappelons à ce propos que ce n’est pas parce que des oeuvres ne nous font pas vibrer nous-mêmes qu'elles ne sont pas bonnes. Si nos filles craquent pour des univers en particulier, c’est qu’ils savent tirer sur les bonnes cordes sensibles, donnant à leurs fans le même sentiment de réconfort ou de connexion intrinsèque que celui que nous retrouvons tous en écoutant un album ou en lisant un auteur plutôt qu’un autre.

Les manifestations nécessaires

Quand, dans les années 60, les adolescentes s’époumonaient à s’en fendre l’âme, parfois jusqu’à s’évanouir lors des prestations des Beatles et qu’aujourd’hui leurs petites-filles font de même en voyant les gars de One Direction, il s'agit des mêmes manifestations de joie, désirs d’émancipation, d’être entendues, de faire sortir un trop-plein d’émotions qui se doit d’être évacué. En bref, cet énervement que certains, en manque d’explications, qualifient à tort d’hystérie (!!!), un mot galvaudé et péjoratif à l’endroit des femmes, est peut-être prétexte à l’expression salvatrice d’un sentiment plutôt qu’un cri admiratif à la vue des biceps d’un chanteur cute. Qu’à cela ne tienne, il sera toujours plus satisfaisant pour la «matante» que je suis de voir hurler une bande de jeunes filles heureuses pendant le concert d’un boys band plutôt que de me rappeler le chahut d’un troupeau de parents lors d’un certain cocothon à Laval…

N’oublions pas qu’à trente ans, les chances sont minces pour que nos filles et leur BFF (Best Friend Forever) soient encore amourachées de One direction. Il se pourrait qu’entre temps, elles aient découvert Ariane Moffat ou Pierre Lapointe, que d’Aurélie Laflamme, elles soient passées aux romans de Michel Tremblay, aux BD de Michel Rabagliati, aux œuvres de Françoise Sagan, avec son magnifique roman d’apprentissage Bonjour Tristesse, qui date de 1954, mais qui est encore à mettre entre toutes les mains juvéniles, avides et curieuses.

Véritables tremplins culturels pour le futur, ces premières œuvres qui marquent restent déterminantes pour ces spectateurs en devenir, filles comme gars. Ne prenons pas le risque de les dénigrer au point que ces jeunes se lassent définitivement de toutes formes d’art ou de la culture en général. Nous serions bien mal pris d’ici quelques années de les voir déserter les théâtres, salles de spectacles et librairies. Quoi qu’ils lisent, chantent, regardent, de grâce, saluons plutôt ces passions qui témoignent de la construction d’une personnalité, d’un désir de vibrer, de s’exprimer, de vivre, un point c’est tout.

Je craque pour…

·      Mon voisin Oscar de Bonnie Farmer et Marie Lafrance, éd. Scholastic

alt="mon-voisin-oscar" Les 5 à 10 ans ainsi que leurs parents aimeront peut-être autant que moi cet album inspiré de la vie du grand Oscar Peterson, né à Montréal dans les années 30. On y retrouve le jeune Oscar en devenir, dans le quartier Saint-Henri qui l’a vu grandir, à travers le regard d’une petite voisine.

 

 

 

·      De garde 24/7 à Télé-Québec

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Photo: Télé-Québec

Cette nouvelle série de Télé-Québec, diffusée les lundis à 19h30, nous permet d’entrer dans les hôpitaux québécois par le biais de médecins qui y œuvrent chaque jour dans des conditions à des distances lunaires des Clubs Med. Bien qu’ils se savent à l’écran, ces femmes et hommes restent d’un naturel incroyable, oubliant presque la caméra pour traiter les patients, interagir avec leurs équipes et parler avec les proches des malades. La série est d’une rigueur admirable, empreinte de respect et révélant un autre éclairage de la médecine actuelle et des êtres qui la façonnent avec un souci de perfection imperturbable. Je ne me lasse pas de les suivre dans les corridors déprimants de notre inégal système de santé. Ils sont impressionnants, j’en suis bouche bée.