Le don des artistes
On reproche souvent aux artistes de vivre de subventions, de toujours «quêter» des sous. Pour certains, la culture est une dépense et non un investissement. Mais quand parle-t-on de tous ces artistes qui font don de leur temps, de leurs chansons, de leurs écrits, de leur musique, de leurs œuvres à des encans, des soirées-bénéfices et de bonnes causes, et de leur apport gratuit à la société? Ce n’est jamais ou alors très rarement quantifié, mais c’est pourtant ô combien rentable d’un point de vue social. À la moindre catastrophe naturelle, marche pour la paix ou soirée au bénéfice d’une cause ou d’une autre nous sommes des dizaines, voire des centaines à répondre présent.
Pour mieux vous parler de l’importance de ces gestes gratuits, laissez-moi vous parler de mon ami, qui porte si bien son nom, Alain Labonté. Les gens des médias le connaissent parce qu’il possède une boîte de communications qui gère notamment les relations de presse du Mondial des cultures de Drummondville, de l’Opéra de Montréal, de l’organisme Les Impatients, ainsi que la carrière de personnalités comme la chanteuse Isabelle Boulay, le sommelier François Chartier, etc. Alain est aussi auteur et parolier. Pas du genre «flasheux», il préfère le boulot et l’écriture aux tapis rouges. Quand le besoin de souffler lui prend, il fait son jogging en solo, sinon il s’occupe des autres, parce qu’Alain est un vrai de vrai gentil. Il ne joue pas à l’être. Mon but n’est pas de le béatifier dans cette chronique-ci (ça le gênerait trop et je laisserai ça à d’autres instances plus catho…), mais cette présentation aide à comprendre dans quel genre de tête naissent des idées comme celle qu’il a eue avec son amie, l’écrivaine d’origine vietnamienne Kim Thuy, d’organiser des Party Pyjama littéraires au cours desquels les sommes recueillies iraient à des organismes de bienfaisance.
En peaufinant leur projet, ils ont imaginé que, chaque fois en pyjama, des comédiens, chanteurs, musiciens et écrivains liraient des extraits de textes d’ici et d’ailleurs en lien avec la cause à l’honneur et que le tout serait entrecoupé de musique. Des tirages, parfois des encans se dérouleraient en fin de représentation, ainsi qu’un «confessionnal» à l’entracte et durant lequel, pour quelques dollars supplémentaires, les spectateurs se feraient chuchoter à l’oreille d’autres textes, à la lueur d’une chandelle… Avec l’entrain de Labonté, de Thuy et de la juge à la retraite Céline Lamontagne à la mise en scène, la magie a opéré: artistes et public ont été au rendez-vous. Le premier soir et tous les autres. Précisons que je fais partie de ces évènements depuis les débuts et que je suis donc en conflit d’intérêts. Néanmoins, les lignes suivantes reflètent la réalité.
Des sommes de cinq, dix, quinze mille dollars et plus ont ainsi été remises aux différents organismes et une cinquantaine d’artistes sont venus gratuitement se produire sur scène, certains peu connus, d’autres très. Plusieurs sont revenus, d’autres reviendront. Seuls les frais liés à la location de la salle et l’équipement ont été déduits des montants recueillis. Parfois, quelques dollars ont été remis aux artistes, quand les profits le permettaient… Plusieurs d’entre eux sont retournés chez eux les poches vides après avoir remis leur cachet à la cause… Ils sont tout de même repartis avec une paire de pantoufles en Phentex tricotées par de charmantes dames des Cercles de fermières…
Je vous vois sourire. Non, les PPL ne sont pas quétaines ou racoleurs. C’est franc, beau, lumineux, avec pour seul décor un sofa recouvert d’une couverture blanche, deux trois chaises disposées ici et là, des micros sur pied et un piano. Le public, en pyjama ou pas, se laisse bercer par les textes. Puis, sans tambour ni trompette, la magie opère. Vraiment. Ceux qui viennent un peu à reculons au terme d’une semaine pas reposante promettent même de revenir.
Juste de même
Le 3 septembre dernier se tenait d’ailleurs un autre de ces fameux PPL à la fin duquel plusieurs milliers de dollars ont été remis à l’APED (Association de parents de l’enfance en difficulté). Des peintres et illustrateurs ont même fait don d’une de leurs toiles à l’encan brillamment animé par Winston McQuade. Sur scène, les artistes impliqués ont tout donné, une fois de plus. Bénévolement. La plupart d’entre eux ne sont pas riches riches, même s’ils jouent dans une série, s’ils viennent de sortir un roman ou un album qui cartonne, même si leur visage est connu. C’est ainsi.
Si, avec raison, le milieu des arts fait souvent couler de l’encre pour ses conditions de travail difficiles, son manque de débouchés professionnels, ses productions marginales mal reconnues, la réduction de ses sources de financement, ou la vilaine habitude de toujours mettre les mêmes personnalités sous les projecteurs, on souligne trop rarement la générosité des artistes qui se produisent gratuitement pour aider leur prochain, sans caméra, sans publicité, sans fans en délire, sans grande visibilité, etc. Sans qu’ils soient mécènes, entrepreneurs ou politiciens. Juste de même. Il existe une Journée nationale des Autochtones, des Patriotes, des aînés, de l’arbre, des musées… Alléluia! Aujourd’hui, j’aimerais que ce soit celle des artistes qui donnent.
Prochain PPL, lundi 23 novembre au Lion d’Or au profit de LEUCAN.
Je craque pour…
- George S. Zimbel : un photographe humaniste. Au Musée des Beaux-arts de Montréal jusqu’au 3 janvier 2016.
Harry Truman, John F. Kennedy, sa tendre Jackie, Richard Nixon, Marilyn Monroe dans sa robe blanche au-dessus d’une bouche du métro de New York en 1954… C’est à ce Canadien d’origine américaine débarqué ici avec sa famille, alors qu’il s’opposait à la guerre du Vietnam, qu’on doit ces fameuses photographies qui ont fait le tour du monde. Soixante-dix images de sa collection couvrant 1953, 1954 et 1955 sont présentées au MBAM, tandis que l’homme né en 1929 est toujours vivant et impliqué dans le monde de la photo à Montréal.
- Le fleuve de Sylvie Drapeau, Leméac, 70 pages.
Premier roman pour la grande comédienne, ce livre qui se rapproche plus de la novella a pour toile de fond la noyade de son grand frère Roch, lorsque la narratrice avait cinq ans, tout en mettant en lumière sa Côte-Nord natale et ses forêts offrant d’inépuisables terrains de jeux. Bien qu’elle revienne sur l’aspect tragique d’un tel drame au sein d’une famille québécoise tissée serré et que son écriture secoue, cette dernière laisse aussi entrevoir les plus beaux clairs-obscurs des ciels d’une enfance comme les autres, avec ses failles. Faudrait qu’elle en tire un monologue et qu’un théâtre lui offre la scène. Ça presse.