La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’amour ne fait pas moins mal avec l’âge

À tort, j’ai longtemps pensé qu’en vieillissant, les peines d’amour ne risquaient plus de survenir. Comme si le jour de nos 60 ans, on devenait immunisés contre les ruptures et le désamour, que, de toute façon, le cœur ne battait plus que pour nos descendants. Quant à la sexualité après le mitan de la vie, bah, je souriais un peu… Cliché de même! Puis, vieillissant un peu moi-même, mes œillères d’innocence sont tombées: la jeunesse n’a pas le monopole de la peine d’amour.



C’est ma bonne amie Camille qui m’a balancé cette réalité au visage la semaine dernière, en m’appelant un peu paniquée, la voix empreinte d’émotions.

- C’est ma mère… m’a-t-elle dit.

- Quoi ta mère? Dis-moi pas qu’elle est… (j’ai pensé malade, gravement malade…)

- Elle s’est faite flusher par son chum. Crime, Clo, elle a 72 ans, ça n’a aucun sens. Comment ça se fait qu’on se flushe encore à 72 ans?

Puis, j’ai hurlé de petits mots d’Église dans le combiné du téléphone (le téléphone, la preuve que je n’ai plus moi-même 20 ans!). C’est vrai, je n’avais pas pensé à ça, mais le désamour et la rupture ne sont pas l’apanage des millénariaux.

Bref, la maman de Camille s’était fait larguer à 72 ans par son mec de 75 ans, parti pour une jeune dans la cinquantaine. Ça devait faire sept ou huit ans qu’ils étaient ensemble, après s’être rencontrés sur un site de rencontre. Ça avait mis fin à son veuvage; la ragaillardissant un brin, suffisamment pour s’être remise au ski alpin avec lui, avoir effectué quelques voyages outremers, envisagé un avenir nouveau à deux, un futur tendre et rassurant avec ce monsieur doux et drôle, une flamme dont elle ne soupçonnait plus l’existence et les pouvoirs après la mort de son mari des quarante dernières années emporté par une maladie dégénérative. Pour ses deux filles, cet homme, nouveau grand-père pour leurs enfants, représentait la nouvelle paix du cœur de leur mère, un soutien pour la dernière ligne droite de sa vie…

Bam! Ben non. Le doux et drôle de monsieur en a décidé autrement. À quelques jours de Noël, la maman de Camille souffre de ce désamour monumental, sûre de ne plus jamais pouvoir trouver de compagnon, «à son âge».

À tort, j’ai longtemps pensé qu’en vieillissant, les peines d’amour ne risquaient plus de survenir. Photo: Harli Marten, Unsplash

Tabous et préjugés

J’aurais beau lui citer les plus savoureuses «réflexions» de la mondaine octogénaire Nadine de Rothschild, veuve âgée du baron Edmond de Rothschild qui se vantait encore jusqu’à tout récemment de ses prouesses amoureuses dans Ma philosophie… d’un boudoir à l’autre, un livre que je m’étais promis de revisiter à mes vieux jours pour me rappeler peut-être des phrases comme «le seul amour vraiment fidèle est l’amour-propre». Bien sûr, on est loin ici de Simone de Beauvoir ou de Julia Kristeva, mais la Rothschild fait tout de même partie de celles et ceux qui brisent les tabous ou préjugés liés à l’amour après 60 ans.

Voici un livre que je m’étais promis de revisiter à mes vieux jours pour me rappeler peut-être des phrases comme «le seul amour vraiment fidèle est l’amour-propre».

Donc oui, les peines d’amour surviennent encore après le mitan de la vie. En vérité, elles surviennent plus que jamais par le passé, comme m’a confirmé la Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. «Entre 1990 et maintenant, il y a deux fois plus de divorces qu’avant chez les plus de 50 ans et ça ne diminuera pas. Ils sont parfois aussi appelés les divorces gris, en référence aux gens à tête blanche.» Aussi, selon la psychologue, les gens qui ont déjà divorcé une première fois sont potentiellement plus susceptibles de le refaire une deuxième fois, contrairement à ceux qui ne l’ont jamais fait, car ils savent qu’ils peuvent passer au travers.

Mais que les têtes soient grises, noires ou blondes, les divorces et séparations font toujours mal et se «faire laisser» après 60 ans n’est certainement pas moins douloureux que dans la trentaine. «C’est toujours difficile pour l’ego, qui demeure fragile à 20 ans… comme à 70 ans! Plus la personne a une bonne estime d’elle-même, mieux elle s’en sortira», confirme Dre Grou.

Les mêmes satanées étapes du deuil avec les sentiments de déni, de colère, de peine, alléluia, sont vécues aussi, peu importe l’âge de la personne, et ce n’est qu’après avoir fait ce que j’ai toujours appelé «la traversée du grand désert amoureux» qu’on peut enfin faire place à autre chose ou à quelqu’un d’autre.

La solitude des femmes

Et cet «après» justement, est-ce possible d’y croire encore – ou ne sont-ce que de belles paroles positives – quand on n’est plus tout jeune et fringant? D’ailleurs (je vais me faire lancer des roches), j’ai toujours pensé qu’il est plus facile pour un homme vieillissant que pour une femme dans la même situation de se «remettre sur le marché». N’est-ce pas une autre grande injustice à l’endroit des femmes ou est-ce mon féminisme – et mes propres craintes – qui m’aveugle ainsi? 

«Les hommes et les femmes ne vieillissent pas de la même façon, commente la psychologue. Au-dessus de 75 ans, la proportion de femmes est plus grande que celle des hommes, et dans le troisième âge, il y a plus de femmes que d’hommes qui vivent seuls. Je ne peux pas conclure hors de tout doute là-dessus, mais ce que je vois, c’est que potentiellement, c’est plus des hommes qui quittent, mais les femmes sont plus en mesure de vivre seules, c’est plus facile pour elles. C’est un constat clinique, pas une généralité.»

Or, plus le couple a été fusionnel, plus ça devient difficile de passer au travers d’une rupture amoureuse, d’où l’importance de garder une vie à part entière, une certaine indépendance et des amis à soi, pas que des «amis de couples». La famille et les enfants, voire les petits-enfants, sont aussi d’une précieuse aide. J’imagine aussi que l’expérience de la vie et les ressources intérieures plus foisonnantes peuvent rendre l’épreuve plus douce qu’à 20 ans, quand on n’a pas vu neiger et qu’on pense qu’on a tout perdu avec le départ de l’élu.

Aussi, au troisième âge, c’est une relation basée sur une complicité, de l’amitié, des valeurs communes, une maturité qu’on perd quand le couple s’effondre. Or, l’avantage par rapport à la jeunesse, c’est qu’on n’a plus à se presser comme peut-être dans le passé c’eut été le cas dans l’espoir de trouver un partenaire pour fonder une famille.

La chair et le temps

Tout ça, c’est sans parler de la fameuse sexualité. Parce que ça fait quand même partie des avantages d’être en couple, à tout âge, qu’on se le dise. Perdre, ça devient inévitablement douloureux, si l’on en croit l’enquête de Starr et Weiner sur «la sexualité des aînés» menée en 1981 auprès de 800 personnes âgées de 60 à 91 ans. Elle démontrait que la fréquence des activités sexuelles ne décline pas abruptement avec l’âge. L’intérêt pour la sexualité demeure fort même avec l’avancement en âge et la fonction sexuelle est même la dernière à vieillir.

Les «amis avec bénéfices», «amis intimes», «fu*** friends», appelez ça comme vous voulez, peuvent donc être une solution pendant un temps pour répondre aux besoins sexuels. Raison de plus pour arrêter de penser que les aînés se rencontrent juste pour jouer au bridge, faire de la marche ou du tricot. Quant au cœur, à la lumière de la peine de la pauvre maman de ma copine, c’est assurément aussi difficile que dans la prime jeunesse de se faire laisser.

Malheureusement, c’est aussi déplorable qu’il y ait trop peu de sites ou de programmes de rencontre spécifiquement destinés aux célibataires des tranches d’âge supérieures à 60 ans. Pourquoi? Déplorable aussi que le sujet de la peine d’amour soit quasiment absent des discours liés au vieillissement de la population. Le cœur ne change pas avec les années et ses battements nécessitent les mêmes stimuli, surtout au Québec, où les hivers sont rudes.

Protégez votre cœur, pansez-le, que vos chairs exultent. Joyeuses Fêtes, chères lectrices, chers lecteurs. Merci de revenir me lire l’an prochain. Bises chaudes. 

Je craque pour… 

Regards croisés – De l’Arctique à l’Afghanistan de Fabrice de Pierrebourg et Marc-André Pauzé (éd. La Presse)

Entre récit de voyage et journalistique, ce livre illustré par Pauzé, raconté par ce dernier ainsi que par le reporter à l’international de Pierrebourg, fait voyager autour du globe, surtout dans des zones où nous n’irions peut-être pas d’emblée par les temps qui courent. Mais il y a surtout là, admirablement dépeintes en mots et images, des rencontres humaines qui piquent la curiosité et qui font grandir, mais surtout, qui suscitent la réflexion à une époque de repli sur soi où l’autre est trop souvent délaissé, voire occulté. Il y a là 23 histoires humaines donc, des instants parfois surréalistes, mais bel et bien vécus par des hommes sensibles qui n’ont pas froid aux yeux.