La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’amour est dans les tomates

La gourmandise et l'amour ont eu raison de ma paresse aux chaudrons.



Au début du mois de septembre l’année dernière, quand mon compagnon m’a invitée à me joindre à lui dans sa production annuelle de réserve de sauce tomate, je me voyais mal refuser. Puisque notre histoire n’en était qu’à ses heureux débuts, je voulais peut-être l’impressionner un peu; me montrer volontaire, tout en sachant qu’après, j’apprécierais avoir sous la main mon précieux coulis écarlate, assurément savoureux. Étonnant, d’ailleurs, de penser qu’avant le 17e siècle en Europe, la tomate était considérée comme un fruit vénéneux servant seulement de décoration de table lors des grandes occasions.

«L’homme de la situation» n’a pas eu à me convaincre très longtemps, donc, je mangerais des pâtes nappées de sauce tomate le matin, le midi et le soir. Il n’est pas rare que je m’en resserve plusieurs portions. Ça me rend heureuse comme une gamine devant une part de gâteau au chocolat. Il avait promis qu’il s’occuperait de pas mal tout, qu’il maîtrisait le cannage, une science qui n’a plus de secret pour lui, qu’il me servirait du vin à volonté pour m’encourager, et qu’au repas du soir, ainsi que pour plusieurs autres à venir, j’aurais l’Italie dans mon assiette. Du moins, ce qui s’en rapproche le plus. Et j’ai de hautes exigences en matière de goût. Surtout après être allée dans ce plus beau pays du monde à quelques reprises…

La gourmandise a eu raison de ma paresse aux chaudrons. Photo: Depositphotos

La gourmandise a donc eu raison de ma paresse aux chaudrons. Malgré mon envie irrépressible d’étirer l’été en lisant allongée dans un hamac plus que de mettre la main à la sauce durant plusieurs heures d’une même fin de semaine, dans sa cour de banlieue, j’ai suivi ses instructions; sans chialer, promis, juré. Juste le gros presse-tomates hérité de sa grand-mère Bernadette, qu’il a transformé pour l’optimiser, m’a bouche bée. Cette machine «tic tac», ou veloce, en italien, demeure quand même le clou de l’activité. Sans elle, pas de passata di pomodoro. Pomodoro qui signifie tomate en italien ou pomme d’or pour l’amalgame des termes «pomo» et «doro», baptisée ainsi par le botaniste et médecin italien Mattioli, en 1544.

Et le plaisir que j’ai eu à la manœuvrer pendant près de quatre heures consécutives, à voir les tomates préalablement triées, lavées puis blanchies exploser sous l’impulsion de l’extracteur, puis le pur jus s’écouler dans le réservoir, avant d’aller cuire dans d’immenses chaudrons, à feu doux pour la soirée et la nuit entière. Nous y avons ajouté de l’ail. Beaucoup d’ail. L’ail, c’est bon pour la santé. Certains optent aussi pour quelques feuilles de basilic. Mon «professionnel» dit que, pour lui, ça n’a jamais été concluant côté saveur. Le lendemain: l’embouteillage ou le cannage. En bonus, des parfums divins et enivrants se répandent dans toute la maisonnée. De quoi ajouter une touche romantique à l’atmosphère qui en est déjà chargée. Oui, il y a quelque chose de sensuel, voire d’aphrodisiaque à la préparation de ces sauces. Quant au goût après, je ne vous dis pas!

Cette année encore, nous sommes retournés chercher nos tomates italiennes réservées à l’avance chez un fermier. Douze caisses de ces beautés charnues et sucrées. C’est plus que l’année précédente. On fera des cadeaux pour les proches, peut-être aussi pour les enseignantes de nos enfants.

D’ailleurs, j’ai pris du galon. Je connais mieux la méthode du Bien-Aimé, un gars de Québec, qui n’est pas d’origine italienne. Sa grande maîtrise du procédé le rend encore plus vertueux. Il dit que «l’art des tomates» détend l’esprit, que c’est un rituel salvateur qui vient clore l’été, qu’il ne saurait s’en passer. Je comprends de plus en plus ce qu’il veut dire: «Une barrique de passata peut faire plus de miracles qu’une église remplie de saints.» Je pense surtout qu’avec les tomates, quand on y met de l’amour, elles t’en retournent à la tonne. In passata veritas!