La petite et le vieux, ou les années 80 décomplexées
La petite et le vieux, roman de Marie-Renée Lavoie, est porté à l'écran. Voici ce qu'en a pensé notre chroniqueuse Claudia Larochelle.
Quand La petite et le vieux, premier roman de Marie-Renée Lavoie, est paru en 2010, son succès fut retentissant, avec plus de 60 000 exemplaires vendus au Québec et en France. Lauréate du Prix de la relève Archambault 2011, gagnante du Combat des livres 2012, cette histoire continue d’émouvoir son lectorat, quatorze ans plus tard. C’était donc écrit dans le ciel que ça allait être porté à l’écran.
Je ne serais pas honnête si j’omettais de vous dire que j’ai préféré le roman. Mais c’est presque toujours le cas. Il se passe un truc entre le lecteur et un livre que le cinéma ne réussit pas à restituer pleinement. Rien n’arrive à la cheville du pouvoir de notre imagination, des petits films qu’on se fait soi-même en lisant.
Or, sur papier ou à l’écran, on ne peut que vibrer pour les fondations de l’histoire: une Hélène de 10 ans (dans le film) qui préfère se faire appeler Jo comme la Joséphine de La Petite Mousquetaire, son héroïne de dessins animés préférés à laquelle elle ressemble d’ailleurs beaucoup. La jeune actrice Juliette Bharucha crève l’écran à travers une interprétation tout en nuances, capable d’être à la fois têtue, courageuse et naïve.
Les jours s’écoulent sans grands fracas dans Limoilou, à Québec, où avec ses trois sœurs, son père déprimé qui tient à un fil (Vincent-Guillaume Otis) et sa mère stricte (Marilyn Castonguay), Jo découvre «l’autre»; fascinée par ses voisins issus de la désinstitutionalisation et par le vieux Monsieur Roger (Gildor Roy), un grognon dont elle se rapproche peu à peu.
Avec son âme de sauveuse, c’est les désespoirs de tout un chacun qu’elle aimerait bien apaiser, à hauteur d’enfant. Sensible et empathique, elle passe beaucoup (trop) de temps à s’inquiéter, pour son papa notamment, qui se console de ses élèves de français blasés en écoutant le baseball des Expos et en attendant que les années passent. Ces pères pris entre leurs responsabilités et leur envie de se rapprocher de leur famille, Otis l’incarne très bien, et cet aspect est le plus réussi du film.
Là où j’ai aussi le plus trouvé mon compte dans ce film de Patrice Sauvé (La vie, la vie, Grande Ourse…) scénarisé par Sébastien Girard, c’est dans la transposition filmique des années 1980. À ce sujet, je souligne l’apport de Marie-Pier Fortier à la direction artistique et de Sophie Lefebvre à la création des costumes. À peine plus jeune que l’auteure du roman inspirée par sa propre enfance, j’ai tout reconnu avec nostalgie de l’atmosphère un peu grise et mélo de ces années coincées entre les révolutions des décennies précédentes et futures. Les moindres détails du quotidien ont été considérés et respectés; de la consommation de cigarettes aux éléments de décors incontournables en passant par les mœurs de l’époque, cette très grande liberté et indépendance dont jouissaient les jeunes laissés à eux-mêmes, à leurs risques et périls. Quel «clash» avec l’époque actuelle! Juste le fait de retrouver cette période est savoureux.
D’ailleurs, concernant la relation de la petite avec le vieux, on peine à croire qu’on laisserait aujourd’hui notre petite fille se lier d’amitié sans aucune méfiance avec un voisin esseulé et alcoolique. Est-ce qu’on croit à cette relation? Moyennement, mais étrangement, à mes yeux, ça demeure un détail vu l’ensemble des thèmes explorés brillamment, nous faisant osciller entre larmes, attendrissements et rigolades. J’ai l’âme à la tendresse, comme le chantait Pauline Julien. Je m’ennuie d’avant aussi, de beaucoup d’affaires qui appartiennent au passé. Ça doit être la quarantaine…