La famille vue par nos auteurs
Il y en a des nucléaires, des tissées serré, des malsaines, d’autres qui naissent, qui se déchirent, se reconstituent, explosent, s’évitent, s’abusent, s’éparpillent, mais aucune d’entre elles n’est éternelle, faite de morts et de naissances jusqu’ad vitam aeternam. C’est tout ça qui fait que les familles nous touchent tant. C’est aussi pour ça que nous étions quelques-uns à refouler nos larmes, dimanche dernier aux Gémeaux quand Émile Proulx-Cloutier a repris Ça reste dans la famille de Michel Rivard en s’accompagnant au piano sur des images des familles qui ont marqué les trente dernières années de télévision québécoise.
En littérature aussi, les liens familiaux sont bien représentés en cette rentrée littéraire, plus qu’à l’habitude, il me semble. Il faut dire que c’est dans leur propre microsociété que les artistes vont puiser l’encre précieuse et celle de l’automne des écrivains d’ici recèle des richesses insoupçonnées. Mes incontournables…
Familles made in PQ
«Mon père prend douloureusement conscience d’un destin qui pèse sur sa vie: le mien. Ses rêves de devenir artiste peintre se voilent. Ma mère, elle, voit sa crainte de tomber enceinte se concrétiser. […] Avec la pression familiale et sociale, je deviens une fatalité, une parfaite inconnue par laquelle tout est maintenant déterminé d’avance. Je deviens celle qui va tout faire basculer», écrit Lise Vaillancourt dans son très réaliste Nous étions nés pour ne jamais mourir, un portrait d’une famille dans le Québec des années 1950 à 1970. Une famille comme bien d’autres de cette époque, ancrée dans une rigidité morale qui n’a pas laissé indemne la romancière qui est aussi une dramaturge dont les preuves ne sont plus à faire depuis un moment.
Nous étions nés pour ne jamais mourir, Lise Vaillancourt, éd. Leméac
Une autre Lise, Lise Tremblay ce coup-ci, revient cet automne avec un récit poignant, une cérémonie d’adieu dans laquelle ceux qui ont perdu un parent se reconnaîtront. Sa narratrice se souvient de la mort du patriarche pendant qu’elle va voir sa mère à l’hôpital psychiatrique. Dans Chemin Saint-Paul, l’auteure de La Danse juive a trouvé la musique singulière pour faire de confessions intimes une affaire universelle.
Chemin Saint-Paul, Lise Tremblay, éd. Boréal
«Tu apprendras bien assez tôt le sens des aiguilles. Elles tournent toujours dans la même direction. Irréversibles. Elles prennent sur elles la dérive des continents que le chagrin déporte», observe pour sa part Hugues Corriveau au sujet des parents vieillissants qui partent un jour après un préambule, au seuil de la mort, qui secoue. En plus des phrases poétiques, toutes chargées à bloc, un voile de mélancolie enveloppe les mots du poète et romancier, vous aimerez le ton, l’âme de ce titre et l’amour qu’un homme peut avoir aussi pour la sœur qui veille.
Et là, mon coeur, Hugues Corriveau, éd. Du Noroît
Les sœurs sont aussi à l’honneur dans Pauline et moi (sortez vos mouchoirs!) de Louise Portal qui raconte la perte de sa sœur jumelle, la comédienne Pauline Lapointe, emportée par la maladie il y a cinq ans. Leurs mésententes, passions réciproques, choix, ruptures, réconciliations… Tout y est dépeint avec la grâce de Portal, son sens du récit, toujours empreint de spiritualité et de cet amour inconditionnel pour la vie. De quoi changer la perception qu’on a des jumelles et confirmer qu’il y a bel et bien une aura mystérieuse qui plane au-dessus des histoires sororales depuis la nuit des temps.
Pauline et moi, Louise Portal, éd. Druide
Le mystère entoure aussi toujours le parent qui abandonne son enfant, le laissant en plan avec tout ce que ça suppose pour les années à venir: colère, révolte, tristesse, interrogations, et des blancs. C’est de cela qu’il s’agit dans Blanc dehors de Martine Delvaux, qui se confie pour la première fois au sujet du père qui s’enfuit à l’annonce de sa venue en 1968. L’héritage de la fuite est lourd à porter, bien que ça fasse créer, parce qu’il faut tout lire, tout écrire pour remplir ces blancs, se combler aussi personnellement, comprendre enfin le père et la (fille) mère qui a gardé le cap, coûte que coûte. Ce titre fera du chemin cette année.
Blanc dehors, Martine Delvaux, éd. Héliotrope.
Les grands-parents insaisissables
Incapable de me détacher de ses mots, j’ai passé une nuit blanche avec ce dernier titre d’Anaïs Barbeau-Lavalette, qui a la sensibilité au bout des doigts. Dans La femme qui fuit, à travers une forme si bien choisie, splendide même, on remonte par fragments le cours de la vie de la grand-mère maternelle de l’auteure, dont elle ne savait à peu près rien. Cette Suzanne au destin peu banal et qui était aux côtés de Riopelle, Gauvreau et Borduas quand ils signaient le Refus Global a fondé une famille avec le peintre Barbeau… avant de la quitter. Pourquoi? Comment vivre avec ce fantôme alors qu’on a cet héritage dans le sang? Vaut mieux créer, reprendre le fil et enfanter soi-même, j’imagine. Ce texte en est un des plus forts de la présente saison et, auteure moi-même, j’avoue – ça fait du bien –, je suis très jalouse.
La femme qui fuit, Anaïs Barbeau-Lavalette, éd. Marchand de feuilles
Pour sa part, la chanteuse et comédienne Stéphanie Lapointe, qui a un gros faible pour les romans graphiques, signe Grand-père et la lune dans la collection Quai No 5. Elle s’est entourée de Rogé pour les illustrations, qui rendent hommage avec justesse à ce grand-papa Adrien, un homme «de peu de mots» né le même jour et la même année que Neil Armstrong… Fin portrait que celui de cet homme, qui comme bien d’autres nés dans les années 30, refoulaient, observaient et pleuraient par en dedans. Et, bien sûr, il y a l’auteure qui décrit cette petite fille un peu naïve, mais lucide en même temps, qui est un jour choisie pour aller sur la lune, comme d’autres le sont pour participer à des émissions de téléréalité fort courues… Puis, vient l’ascension vers les étoiles et ce qu’on en retire, avec, toujours, le valeureux grand-père en toile de fond. Tendresse quand tu nous tiens.
Grand-père et la lune de Stéphanie Lapointe et Rogé, éd. XYZ.
Je craque pour…
Honeymoon de Lana Del Rey
Ah! La belle mélancolie de l’incomparable Lana. Je l’aime encore plus avec cet album qui laisse place à sa fragilité, ses failles, à une maturité et à des aveux dans des textes de haut calibre. Je ne m’attendais pas à tant, et certainement pas à cette reprise de Don't Let Me Be Misunderstood de Nina Simone. High By the Beach est ma préférée de cet opus.
La série The Good Wife (Une femme d’exception)
Quand on aime une série télé, on voudrait que tout le monde embarque avec nous dans le trip. Je profite donc de cette tribune pour vous serrer très fortement le bras afin pour que vous suiviez cette histoire américaine qui se déroule de nos jours chez Lockhart & Gardner, un réputé cabinet d’avocats de Chicago, ville qu’on ne voit malheureusement jamais et qui n’est donc pas un personnage en lui-même. Ce sera mon seul commentaire négatif sur cette série de CBS aux dialogues aussi drôles qu’incisifs, souvent sarcastiques et savamment réalistes. On s’attache aux personnages nuancés, jamais manichéens, aussi bons que «méchants», vulnérables dans leur toute-puissance… Il y a six saisons à The Good Wife. J’attends l’arrivée de la sixième sur Netflix. C’est long.