La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La FADOQ a 50 ans! Coup de chapeau à sa fondatrice

Dans neuf ans, j’aurai 50 ans. Neuf ans, ça vient vite. Pour être honnête avec vous, vieillir me réjouit moyennement. J’ai même écrit quelques fois dans cette chronique sur ma relation d'amour-haine liée au temps qui passe.



Or, s’il y a une chose qui apaise cette petite angoisse, sorte de baume sur les nouveaux bobos, rides, courbatures, alouette, c’est l’idée de recevoir ma carte de membre de la FADOQ. Pour vrai.

La célèbre fédération sans tache qui célèbre cette année ses 50 années d’existence a suivi les changements de la société québécoise comme rares sont celles qui ont su le faire, avec ouverture, engagement et pertinence, jamais ringarde ou rétrograde, bien au contraire.

À bien y penser, ce n’est pas si étonnant avec une muse comme Marie-Ange Bouchard, fondatrice du Réseau FADOQ, qui s’en est allée le 6 juillet 2001 à 93 ans; libre et féministe avant son temps, inspirante à souhait pour les membres de son organisation à sa création en 1970 et peut-être même plus encore aujourd’hui en tant que figure de proue des pionnières du siècle dernier, comme Idola Saint-Jean et Thérèse Casgrain.

Marie-Ange Bouchard, fondatrice du Réseau FADOQ.

«Il va falloir sortir les hommes des tavernes. Il faut leur trouver des activités à faire, autres que boire et fumer. Ils ont l’air de s’ennuyer, d’être blasés, les femmes n’en peuvent plus.» C’est ce que s’était dit Marie-Ange Bouchard en créant d’abord, en 1962, le fameux Club des 3 fois 20, devenu les clubs de l’âge d’or, puis, enfin, la FADOQ telle qu’on la connaît aujourd’hui. Son intuition ne l’avait pas trompée lorsqu'elle avait constaté la solitude des personnes âgées. D’ailleurs, des gens de toutes les provinces ont ensuite eu envie de suivre l'exemple et d’en faire profiter leurs aînés.

C’est une de ses nièces, Madeleine Bouchard, la fille aînée du frère de la fondatrice émérite, qui se souvient de ce détail pas mal représentatif de son souci de l’autre, de son humanisme et de cette curiosité insatiable qui la poussait à regarder ses contemporains, à vouloir leur tendre la main, à passer à l'action. Ce leitmotiv rythmera toute son existence pas banale.

Pas étonnant qu’elle se soit d’abord ennuyée dans sa jeunesse austère entre les murs trop beiges de la congrégation Notre-Dame, où elle est devenue religieuse à 23 ans. Telle était la volonté de ses parents rigides qui n’avaient pas vu d’un très bon œil d’ailleurs cette correspondance, échangée pourtant assez chastement, avec un soupirant dont ils gardaient les lettres pour eux. Pourtant, on était si loin de ce que pouvaient s’écrire, presque au même moment dans un autre coin du monde, Anaïs Nin et Henry Miller, par exemple.

Voyant la jeune Bouchard toujours malade depuis le jour un de son engagement religieux, la mère supérieure lui aurait alors fortement suggéré de quitter la congrégation; parce qu’au fond, ce n’était peut-être juste pas sa place. Il n’en fallait pas plus pour que Marie-Ange Bouchard entre en travail social à l’Université de Montréal, faisant même partie de la première cohorte à compléter ce programme qui lui allait à ravir, à elle, si brillante, déterminée et généreuse.

«Je pense qu’il n’y a personne qu’elle n’a pas aidé dans la famille», note sa nièce, qui a elle-même été accueillie par sa tante, «recueillie», devrait-on plutôt dire, après qu'elle eut entamé sa vingtaine en tenant tête à sa mère. À partir de ce jour-là, à l’image de leurs quelques années respectueuses et amicales de colocation, l’universitaire célibataire sans enfant aura su veiller sur la fille de son frère. Comme une mère. Au fond, peut-être que Marie-Ange s’était reconnue dans l’entêtement, la force vitale et l’envie de liberté de sa jeune nièce admirative, aujourd’hui fière membre FADOQ de 77 ans.

Il faut dire que la tante Bouchard imposait un certain respect à travers son élégance, son port de tête altier et cette éloquence dont se souviennent assurément tous ceux qui l’écoutaient prendre la parole devant public à la FADOQ ou ailleurs. Et cette présence lumineuse qu’elle avait… À son 90e anniversaire de naissance, elle aurait même récité par cœur les vers d’un poème appris à la petite école. Un savoir-faire qui a certainement dû lui servir dans sa carrière de journaliste, qu’elle a aussi embrassé passionnément, d’abord au journal La Patrie (1879-1978), puis aux derniers jours de son valeureux parcours à la résidence pour retraités de Saint-Jean-sur-Richelieu, où chaque mois elle rédigeait des portraits d’individus.

Fort humble, cette pionnière d’un mouvement social qui refusa toute sa vie de prendre le crédit de la fondation de la FADOQ serait la première à ne pas vouloir se faire lancer de fleurs. Contrairement à tellement d’individus chercheurs de gloire et de renommée, Marie-Ange Bouchard donnait le crédit à tout le monde, trouvait refuge dans l’ombre plus que dans l’exposition.

C’est sans doute la raison pour laquelle on ne louange pas assez son nom et l’immensité de sa contribution, dont on perçoit encore l’impact aujourd’hui. C’est bien plus qu’une rue à son nom que mérite cette femme, c’est la longévité, solide et bienveillante, de plus d’un demi-million de membres FADOQ. Oui, il y a de quoi être fiers de détenir sa fameuse carte.

50 ans à changer le monde

Bien sûr, le directeur général du Réseau FADOQ, Danis Prud’homme, me le confirme: il y a encore quelques personnes réticentes, par gêne, coquetterie ou orgueil, à devenir membres du plus grand réseau rassemblant et représentant les 50 ans et plus au Canada et ayant pour objectif d'améliorer et de conserver leur qualité de vie. Qui en serait étonné en cette époque de quête de jeunesse éternelle?

D’ailleurs, le 50 ans d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier. Le DG de 57 ans en sait quelque chose. «Dans les dernières années, on a épousé les dernières tendances, parce que nous sommes restés à l’écoute de nos membres, avec des activités plus actuelles que ce qu’on faisait en 1970. Les loisirs ont changé et on sait se mettre au goût du jour comme n’importe quelle compagnie qui veut rester sur les rangs», exprime-t-il, non pas sans une réelle sincérité à l’égard de l’organisme qu’il chapeaute.

Danis Prud'homme, directeur général du Réseau FADOQ.

Parmi les actions innovantes du Réseau: Avenues.ca, sur lequel j’écris ces lignes, un média Web nouveau genre avec ses chroniques pertinentes et ses Rendez-vous thématiques que vous suivez déjà avec intérêt!

Et que dire des grands événements portant le sceau FADOQ, dont les Jeux FADOQ, qui réunissent maintenant plus de 1 500 participants chaque automne et qui font bouger 15 000 personnes de 50 ans et plus lors des finales régionales, disputées aux quatre coins de la province?

Impossible de passer sous silence l’impact de grands programmes tels que Viactive, Roses d’Or, les Ateliers FADOQ.ca, Aîné-Avisé, maindœuvre50plus.com, Dans la peau d’un aîné, etc.

Aussi, le Réseau FADOQ ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans les multiples ententes gagnant-gagnant signées avec de grands partenaires et les 1 500 rabais et privilèges qu’il propose à ses membres, dont le magazine Virage.

La FADOQ en a donc fait pas mal de chemin en cinq décennies marquées de grandes victoires pour les droits collectifs des aînés, dont certaines obtenues à l’arraché, comme la fin de l’obligation alimentaire des grands-parents, l’abolition des frais accessoires, la certification des résidences privées pour aînés, l’inscription automatique au supplément de revenu garanti, etc.

Ces réalisations sont loin d’être négligeables quand on sait à quel point la population vieillit. «En 2011, au Québec seulement, il y avait 150 000 personnes âgées de plus de 85 ans. En 2031, ils seront au-delà de 350 000 et, en 2041, ils seront autour de 600 000. Si juste aujourd’hui on a du mal à prendre soin de ces gens, imaginez en 2041…», déclare monsieur Prud’homme. Ces chiffres donnent le vertige, n’est-ce pas?

Oui, mais le Réseau est puissant, très puissant. En prenant connaissance de tout ce qu’il entreprend et des petites et grandes batailles qu'il remporte, on comprend que le terrain est propice à mener plus loin, et sereinement, les Québécoises et Québécois pour encore au moins cinq autres décennies, et plus même. De là-haut, Marie-Ange Bouchard la battante veille au combat.