La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Journée internationale de la Francophonie: défendre le français malgré tout

Je n’ai rarement reçu autant de haine sur les réseaux sociaux qu’en parlant de mon amour du français, qu’en prenant sa défense pour m’assurer de sa survie. C’est parfois même très intense. Comme si, tout à coup, je m’étais mise à défendre la libre circulation des armes à feu, que je me prononçais contre l’avortement ou que j’avais fait un exécrable jeu de mots autour d’un bouleau... Ce qui n’arrivera jamais.



On m’a traité de raciste, d’intégriste, d’anti-immigration, d’extrémiste de droite, et j’en passe. Comment certaines personnes en sont-elles arrivées à voir tant de haine dans la simple expression d’un attachement profond envers celle qui, depuis 1974, est reconnue comme étant la seule langue officielle au Québec? L’aimer pacifiquement, espérer son éternité, ce n’est pas exclure l’anglais, ni aucune autre langue. Y voir autre chose, c’est faire des amalgames, prendre des raccourcis intellectuels douteux, y aller d’une mauvaise foi crasse, abdiquer devant la possibilité d’entreprendre de sains dialogues.

Si je ressens tout naturellement une fierté à vivre au Québec, où l’on retrouve la plus grande concentration de francophones dans les Amériques – présence qui a débuté avec la Nouvelle-France en 1534 –, ainsi qu’un attachement viscéral qui peut paraître folklorique aux yeux de certains détracteurs, il y a plus. Il y a, d’un point de vue objectif et rationnel, celui-là, ma préoccupation comme journaliste et artiste, le souhait ardent le plus légitime de pouvoir continuer d’exercer mes occupations pécuniaires dans la seule langue que je maîtrise suffisamment pour y parvenir jusqu’à la «retraite». À voir mes pairs, je suis loin d’être unique dans ma situation… Hélas, je me sens souvent bien seule au front. Mener cette quête n’exclut pas que je puisse en mener d’autres avec autant de ferveur: féminisme, alphabétisation, environnement, lutte contre la pauvreté…

Comment certaines personnes en sont-elles arrivées à voir tant de haine dans la simple expression d’un attachement profond envers celle qui, depuis 1974, est reconnue comme étant la seule langue officielle au Québec? Photo: Shutterstock

La force de frappe du français

Je caresse aussi l’espoir que mes enfants prennent le relais, en français toujours. Ce qui n’exclura jamais la certitude qu’il faille aussi apprendre l’anglais, maîtriser cette langue et, assurément, accueillir une diversité de cultures au Québec. C’est à mon avis l’une des plus grandes forces québécoises qui participent par ailleurs au rayonnement culturel et entrepreneurial du pays à travers le monde.

Les plus grands chefs d’entreprises vous le diront, la force de frappe du français au Québec permet d’établir des ponts entre le Canada et la Francophonie, dont le dernier rapport en date de l’Observatoire de la langue française, publié en 2018, estime à 321 millions le nombre de locuteurs répartis sur les cinq continents. Ce n’est quand même pas rien. Évacuer des discours l’importance du français au Québec – qu’ils soient partisans ou non –, c’est devenir ultimement une pâle copie des États-Unis.

Certes, la peur louable de voir l’expression francophone s’effriter jusqu’à peau de chagrin m’habite. Comment pourrait-il en être autrement? Néanmoins, je constate les efforts et progrès d’une manière concrète quand après des années à me faire accueillir en anglais dans un commerce de la rue Masson à Montréal, on cherche soudain les mots dans ma langue pour s’enquérir de mes besoins, quand aussi j’entends une cliente anglophone demander en français des conseils à une pharmacienne qui s’acharne à lui répondre… in english. Quand la cliente s’obstine et continue malgré tout dans la langue de Molière, je jubile. Deux scénarios réels en une même semaine. Puis, les «bonjour/hi» me semblaient moins prépondérants dans la dernière année. Ça aussi, j’ai remarqué. Et j’ai l’oreille sensible...

Je ne serai jamais de celles qui invectivent pour être servies en français. Jamais agressive ou déplacée. Le français est une langue de classe, d’élégance et de distinction. Par contre, je tiens à exprimer mon droit en expliquant les raisons qui me poussent à le revendiquer. Je sais que ça fait son chemin chez les plus brillants; plusieurs qui ne soupçonnent probablement même pas l’importance, d’où ça vient historiquement parlant, ce qui nous y mène. Beaucoup de jeunes ont besoin de savoir. À force, je sais qu’on en viendra à bout. L’insensibilité, l’ignorance ou le mépris ne peuvent pas être l’apanage de tous. Aujourd’hui, j’ai mis mes lunettes roses pour célébrer cette Journée internationale de la Francophonie. Je ne compte pas les retirer.