La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Je ne suis pas (encore) la fée des dents

Surprise, surprise! Serez-vous étonnés d’apprendre qu’en 2019, les femmes, tout en ayant déjà un emploi rémunéré, feraient encore la plus grande partie du travail non rémunéré, comme les tâches domestiques, les soins aux enfants et aux proches malades?



C’est ce qu’on retrouve, brillamment exposé d’ailleurs, dans Si nous sommes égaux, je suis la fée des dents, essai qui paraît ces jours-ci chez Poètes de brousse et signé par la travailleuse sociale québécoise Amélie Châteauneuf. Or, ce qui rend ce sujet encore plus «universel», ne touchant donc pas que les jeunes familles d’ici – avec ou sans enfants –, c’est que ces tâches empêcheraient les femmes d’effectuer autant d’heures de travail rémunéré que la plupart des hommes et donc de cotiser autant pour la retraite (tiens, tiens…). En effet, les dames ne disposeraient que de 59% des revenus de retraite des messieurs et les plus âgées seraient plus nombreuses que les hommes âgés à vivre dans la précarité, au Québec et ailleurs. Hum.

Châteauneuf, qui, mentionnons-le d’entrée de jeu, consacre aussi un chapitre entier aux couples homosexuels, propose des pistes de solutions concrètes et accessibles pour que personne ne soit lésé moralement et financièrement, et est la première à admettre que les hommes d’aujourd’hui prennent plein d’initiatives, «qu’ils peuvent tous être aussi performants à la maison qu’au travail». «Et j’espère, poursuit-elle, que les conjoints seront prêts à accepter ce défi de partager la coordination du quotidien, non seulement parce qu’ils aiment leur conjointe, mais surtout parce qu’ils aspirent à l’égalité.»

Une fois ceci convenu, il n’en demeure pas moins que la situation exposée, soupesée et analysée de manière rigoureuse montre que «les couples dépensent plus d’énergie à se dire égaux qu’à mettre cette égalité en pratique», plaide-t-elle en citant des chercheurs et chercheuses comme Hélène Belleau de l’Institut national de la recherche scientifique.

Journée nationale de quessé?

Preuve qu’il reste encore du chemin à faire, la travailleuse sociale, qui ne manque d’ailleurs pas d’humour, souligne l’existence (encore!) chez nos voisins américains – et, attention, je me suis étouffée avec mon café… – de la Journée nationale de l’homme qui cuisine un repas. Oui, oui.

Elle revient aussi sur la délicieuse expression de l’écrivaine suédoise Katarina Bivald dans le roman La bibliothèque des cœurs cabossés, qui ironise en affirmant que «les femmes se marient en blanc parce que c’est la couleur des électroménagers». Déprimant quand même. Parce que oui, selon un sondage réalisé par la firme Léger en 2014 auprès de 722 répondantes pour le compte du Journal de Montréal et cité dans l’ouvrage de Châteauneuf, dans 64% des familles, c’est toujours ou souvent la conjointe qui prépare les repas. Ce sont aussi elles, en majorité, qui veillent à l’entretien ménager, à la lessive et qui se chargent dans 78% des cas des soins et des rendez-vous médicaux. Sans parler de faire l’épicerie, les courses du quotidien, de veiller à trouver un costume d’Halloween ou une nouvelle tuque à un des enfants, de commander ses photos scolaires en ligne, de lui organiser une fête d’amis, de gérer sa vie sociale, alléluia.

Pas étonnant donc que les femmes demeurent plus désavantagées que les hommes sur le plan du temps de repos mental, qu’il s’agisse d’avoir la possibilité de prendre un bain seule (pas avec le petit dernier), de lire autre chose qu’un album jeunesse, le soir, avant les dodos ou d’aller voir un autre film que le dernier Disney au cinéma…

Petite confession ici, j’ai déjà fantasmé sur l’idée d’aller me «faire hospitaliser» un mois pour qu’on s’occupe de moi et qu’on me donne plein de pilules pour dormir plusieurs heures d’affilée et ainsi regagner un peu des heures perdues lors de réveils abrupts pour cause de terreurs nocturnes, d’allaitement, de ramassage de dégobillage (lors de gastro qu’on attrape, évidemment) ou de souffrants réveils avant 5 h parce que c’est donc plaisant d’être les premiers debout avant la Pat Patrouille… Wouf, wouf… zzzzzzz.

Honnêtement, sur quelles frêles épaules endolories grâce aux trop rares séances de yoga reposent majoritairement ces charges? Dans la tête aux tiroirs débordants de qui? Qui vit avec le sentiment de tourner les coins ronds partout parce qu’il y en a trop en même temps à orchestrer en une journée/nuit? La femme. Même avec le plus charmant, vaillant, moderne, disponible des conjoints que la Terre ait porté.

Bref, Si nous sommes égaux, je suis la fée des dents est bienvenue pour inciter à répartir le poids de la charge mentale, pour ouvrir des discussions, refaire le point sur des affaires comme l’égalité entre les sexes, que certains optimistes voyaient déjà comme une affaire moyenâgeuse. Oui, mais… Nous ne sommes pas encore la fée des dents. On en rêve en titi, par contre. Car comme la fée des dents, on serait bien plus riches pour en redistribuer sous les petits oreillers.

Je craque pour…

Âme fifties de Alain Souchon

Ça faisait 11 ans qu’il ne nous avait pas donné d’album solo, le grand Souchon. Avec Âme fifties, 15e album de l’épatant et intemporel auteur-compositeur-interprète français, on retrouve l’âme nostalgique et un peu mélo de l’artiste attachant, qui revient sur des souvenirs de jeunesse des années 1950, ou du moins sur l’esprit d’une époque, un peu comme si on s’attardait sur un album photos. Or, ça n’a rien de ringard ou de suranné!

«Presque» et «Âme fifties», les deux premières chansons, donnent déjà un avant-goût savoureux, tendre et tellement automnal de ce dont se délectera sa horde de fans en délire, dont je fais partie depuis que je suis jeune adulte. Souchon est un écrivain de la musique, c’est un pur à qui on offrirait son cœur en échange de quelques paroles qui élèvent. Longue vie à lui et à son art.