J’ai plein d’amour à donner
«Faites-moi faire ce que personne ne veut faire.» C’est ce que j’ai répondu à la dame du centre d’action bénévole rencontrée au cœur d’une dépression dans ma belle vingtaine décadente. C’est ainsi, en entrant comme bénévole dans un centre de répit et de soins pour sidéens en fin de vie, que je suis «revenue au monde» au début des années 2000...
Quétaine de même comme expression, mais ça ne saurait être plus vrai. Il y a ceux avec qui je fumais des clopes sur le balcon, l’ex-prisonnier qui m’offrait poliment des fleurs, le rouge aux joues, le travesti anglo à qui j’apportais des joints roulés avec amour dans la salle des infirmiers et qui me montrait ses robes, la gentille intello à qui je faisais la lecture, ceux que j’aidais à manger, que je lavais, à qui je massais les pieds.
Ils sont probablement tous décédés, libérés de leurs satanées souffrances, mais sans eux, je ne pense pas que je serais la même aujourd’hui. Serais-je seulement encore ici?
Entendons-nous là, je n’ai rien fait d’exceptionnel (les médecins, infirmiers, éducateurs en garderie, enseignants…, eux le sont en titi). Ce sont les patients qui m’ont montré quoi faire avec mon excès de sensibilité qui le sont, exceptionnels. Un cœur trop plein n’est pas toujours super quand il explose et qu’il faut en ramasser les morceaux épars... J’ai découvert alors que «bénévoler», c’était gérer ces surplus de sensibilité, les canaliser, sortir de soi, cesser de se regarder le nombril, de charmer, prouver, batailler, compter, se comparer… La poussée d’adrénaline d’être tourné vers l’autre est géniale. Alors on y revient toujours, même avec deux jeunes enfants, des projets, la job, les petits tracas, le manque de sommeil, etc. Pas besoin d’être à la retraite, sans emploi ou de s’ennuyer pour s’impliquer socialement.
Se donner pour vivre vieux
De récentes études ont d’ailleurs prouvé que la gentillesse et les actes de générosité activeraient la partie du cerveau qui libère les endorphines, aussi appelées hormones du bonheur.
Le magazine Psychologies rapportait aussi, il y a quelques années, les propos de Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale et directeur du Laboratoire interuniversitaire de psychologie de Grenoble, qui avançait que les gens portés vers le bénévolat étaient moins dépressifs en général que ceux qui n’en font pas, qu’ils étaient aussi moins touchés par la maladie d’Alzheimer, que leur état de santé général était meilleur et leur mortalité plus faible. «Attention cependant, rapportait Psychologies, ces bénéfices ne s’observeraient plus au-dessus d’un certain seuil, quand l’engagement va au-delà de cent heures par an. La limite entre don de soi et oubli de soi?»
Des chercheurs américains de l’Université du Michigan notaient pour leur part en 2011 que les bénévoles aux vues moins altruistes, engagés pour trouver l’âme sœur plus que pour aider véritablement, par exemple, avaient les mêmes taux de mortalité que les personnes qui ne s’engageaient pas dans le bénévolat. Impossible donc de se mentir à soi-même et aux autres!
Présentement, ils sont plus de deux millions de personnes à consacrer annuellement près de 310 millions d’heures au bénévolat dans toutes les régions du Québec et dans toutes sortes de sphères d’activités.
La valeur estimée de leur implication, s’ils étaient rémunérés au salaire moyen versé au sein des organismes communautaires, représenterait 7 milliards de dollars. Précieux, vous dites, ces bienveillants? Plutôt un don du ciel qui fait en plus économiser des sous à la province entière.
Belle de jour
Ancienne bénévole à la Maison Victor-Gadbois à Saint-Mathieu-de-Beloeil, centre qui offre gratuitement des soins palliatifs spécialisés à des malades atteints de cancer, Marlène Côté (qui donne encore de son temps!), devenue coordonnatrice soutien au deuil, a vu, connu et formé à ce jour beaucoup de ces altruistes personnes.
Belle comme le jour, cette Catherine Deneuve de la maison, aussi formatrice en accompagnement du deuil des adultes et des enfants, m’a fait visiter l’endroit comme s’il s’agissait de sa propre maison et en me vantant le travail de l’équipe d’employés, certes, mais, mais surtout, l’implication des bénévoles, plus de 145 là-bas, qui offrent plus de 550 heures de leur temps chaque semaine.
Vous imaginez... faire du bénévolat auprès de gens en fin de vie, c’est un peu comme l’Everest des alpinistes. Tous les types d’entraide sont essentiels, mais la mort imminente des patients, la présence endeuillée des proches, la peine, la peur, les croyances, le mélange de tout ça rend ce genre de présence bénévole assez particulière à Victor-Gadbois. Ça m’épate et je ne voulais pas conclure mon parcours de chroniqueuse 2018 sur Avenues.ca sans souligner leurs gestes.
En cette ère de rectitude, d’individualisme et de xénophobie, je souhaite à tous de devenir bénévoles quelque part: avec le voisin âgé, l’enfant esseulé, les animaux abandonnés, la planète souffrante… Si j’étais riche, je ne ferais que ça. Or, pas besoin de l’être pour faire sa part, même pas nécessaire d’avoir tellement de temps. Je vous laisse sur ces mots de Spinoza: «La haine doit être vaincue par l’amour et la générosité.» Joyeuses Fêtes, on se retrouve l’an prochain.
Je craque pour…
Songs for Christmas de Sufjan Stevens
Mes fêtes de Noël ne seront plus jamais les mêmes grâce à cet album de Noël de l’auteur-compositeur-interprète folk américain Sufjan Stevens, dont le désarmant Carrie & Lowell me fait craquer chaque fois que je l’écoute – en boucle, il va sans dire. Je viens de découvrir, grâce à la bonne Myriam Fehmiu, d’ICI Musique, son Songs for Christmas et je pense que je ne m’en remettrai jamais. Mélancolie, nostalgie, douceur et sensibilité forment l’alchimie parfaite qui compose cet opus parfait. Juste parfait.