Héritage, une pièce délivrante à voir chez Duceppe
Lorraine Hansberry est morte d’un cancer du pancréas à 34 ans. C’était une battante. Tellement battante qu’elle est devenue en 1959, peu de temps avant son décès, la première dramaturge noire à être jouée sur Broadway. Elle fait partie des grandes oubliées qu’il faut remettre à l’avant-plan, ce qu’ont d’ailleurs compris les épatants David Laurin et Jean-Simon Traversy, co-directeurs artistiques chez Duceppe, qui ont véritablement donné une cure de splendeur bienfaitrice à cette compagnie théâtrale à leur récente arrivée en 2017. Héritage (A Raisin in the Sun) frappe comme le tonnerre dans un ciel chargé de grisaille. Cette pièce délivre.
Je ne comprenais pas pourquoi j’avais eu tellement de mal à me procurer un billet de presse pour y assister, ce qui, pour être honnête, n’est jamais un si grand tour de force pour une journaliste. Je ne pensais pas non plus que ça valait le coup à ce point de plonger dans une histoire des années 1950, que j’ai osé imaginer un tantinet poussiéreuse, peut-être hermétique, ou appuyée dans ses propos. Mea culpa. Cette histoire ô combien nécessaire nous plonge au cœur d’une famille afro-américaine du ghetto de South Side de Chicago dont chaque membre rêve à un avenir meilleur dans une Amérique ségrégationniste et assez craintive quant aux changements sociaux; en somme, une Amérique qui n’hésite pas à couper les ailes de ceux qui veulent s’élever, rester dignes, faire honneur à l’héritage de leurs prédécesseurs. Rappelons que pendant une bonne partie du 20e siècle, Chicago demeurait très divisée sur le plan racial…
D’après une histoire vraie
Hansberry, qui s’est grandement inspirée de son vécu pour écrire cette merveille qui secoue, a réussi à imaginer une création tellement frontale, lucide et sincère, qu’encore aujourd’hui, dans un monde où injustices et racisme demeurent à l’ordre du jour, sa portée est immense. Bien sûr, Mike Payette à la mise en scène – inspiré peut-être lui-même par l’horreur dont témoignent les médias du monde présent sur le sort ignoble réservé aux migrants, par exemple – lui a certainement redonné un peu de lustre avec cette proposition à la fois sobre et pétillante, jamais moralisatrice, complètement en adéquation avec l’énergie curieuse et les préoccupations des spectatrices et spectateurs de l’heure.
Mentionnons aussi le caractère historique de ce spectacle puisqu’il s’agit de la première fois qu’une pièce présentée sur une scène québécoise est presque entièrement interprétée par une distribution noire. Les interprètes, tous sans exception, dans les plus modestes comme les plus imposantes présences, y vont d’un jeu nuancé, intelligent, voire galvanisant par moment, surtout en deuxième partie, quand le texte devient plus chargé émotivement, plus signifiant aussi en un sens. J’espère d’ailleurs que la justesse et l’excellence de cette production inciteront plus de créateurs d’ici à oser la diversité quand vient le temps de penser aux distributions. On commence même férocement à avoir envie de changement à l’écran comme sur nos scènes. Merci, on a fait le tour, c’est bon, bienvenue au 21e siècle.
Mention spéciale à Myriam De verger, Frédéric Pierre et Mireille Métellus, qui sont portés par la grâce, sans se perdre dans les pièges des épanchements faciles ou des lamentations énervantes. L’enrobage cinématographique est aussi à souligner dans les décors de Eo Sharp qui donnent le ton aux envies de soulèvement de cette famille attachante au cœur qui gronde, prête à s’embraser.
Ceux qui saisissent les multiples couches d’Héritage ressortent grandis. Le théâtre doit aussi servir à élever. On s’aime très mal. L’art peut fouetter de manière agréable. Jusqu’au 5 octobre chez Duceppe, ça va cartonner.
Je craque pour…
Margaret Atwood sur la «short list» du Prix Booker
La grande écrivaine canadienne, surtout connue pour sa Servante écarlate (il faut lire aussi ses autres titres, bien sûr), fait partie des six écrivains de langue anglaise en lice pour recevoir le très prestigieux Prix Booker.
C’est justement la suite de La servante écarlate (The Handmaid’s Tale), intitulée Les Testaments (The Testaments), qui sort ce mois-ci en langue originale anglaise et en novembre en français, qui fait partie des œuvres sélectionnées. Même si elle a déjà reçu le Booker en 2000, il ne serait pas étonnant de la voir repartir avec une fois de plus. Madame Atwood est une des rares à posséder le génie, «l’extraclairvoyance», bref, cette capacité à distinguer l’ombre de ce qui peut survenir, d’en tracer les pourtours à travers des histoires accessibles et captivantes.