La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

La gourmandise pandémique existe-t-elle?

Vous vous sentez plus gourmand ou affamé par les temps qui courent? Vous cuisinez plus, aussi, en proie à de féroces envies de vous goinfrer, certes, mais aussi de remplir le bedon de vos proches? Rien de plus normal!



D’après une récente étude de la Santé publique française, 37% des personnes interrogées disent cuisiner plus de plats maison en cette période de pandémie qu’à l’habitude (contre 4% qui le feraient moins qu’avant la Covid-19). Pour leur part, 22% déclarent grignoter plus que jamais entre les repas (contre 17% qui le feraient moins que d’habitude).

Pas besoin d’être psy pour comprendre que la nourriture a quelque chose d’exorcisant, pour ne pas dire d’érotisant...

Jeune ado, je ne «pognais» pas. Un jour, ma mère, qui avait préparé vraiment trop d’une nouvelle et mystérieuse recette de carrés aux Rice Krispies, m’a dit de partager avec les autres, au collège. C’est ainsi que Christopher, un des musiciens de l’école dont toutes les filles étaient éprises, a goûté aux merveilles sucrées entre deux répétitions d’une comédie musicale que nous montions. Croyez-le ou non – j’espère qu’il s’en souviendra –, il a craqué. Entre nous, ça n’a pas duré, c’est une autre histoire, mais l’effet fut magique cette fois-là, et d’autres aussi, avec les mêmes satanés carrés aux Rice Krispies, rebaptisés «attrape-bonhommes».

Tout ça pour dire aussi qu’en pandémie, oui, il y a quelque chose de cet effet ensorcelant recherché à travers la nourriture. Quand, en plus, la quête consciente ou non de réconfort est exacerbée par ce sale temps coronarien, l’acte de manger et/ou de cuisiner n’est pas innocent.

Un simple sondage maison auprès de mes «amis» sur ma page Facebook personnelle m’a permis de constater à quel point les Québécois ont le nez aux fourneaux. La pandémie, c’est aussi faire du télétravail à côté du réfrigérateur, humer la cuisson des muffins du conjoint en pause, vouloir accorder un met avec la huitième bouteille de vin ouverte de la semaine…

Photo: Marco Verch Professional Photographer, Flickr

Cuisiner avec les suffragettes

Je pousserais l’audace jusqu’à prétendre que cuisiner peut s’inscrire comme un geste militant. C’est la lecture d’une nouveauté fabuleuse qui sera en librairie dès le 2 novembre (réservez en ligne dès maintenant), rééditée au Marchand de feuilles, mais vieille de 105 ans, La cuisine des suffragettes, qui me permet d’y voir un lien.

Elles étaient Britanniques, Américaines et Canadiennes, et pour faire avancer leur cause d’une manière subtile qui n’éveillait pas trop l’attention du satané boys club, les suffragettes, qui ont vécu à la fin du 19e et au début du 20e, amassaient notamment des sous en vendant des livres de cuisine. Astucieux. Elles en profitaient aussi pour y passer des messages de justice sociale ou pour recruter des adhérentes lors de leurs ventes, avec en tête, toujours, ce qu’elles ont enfin réussi à obtenir, en 1920, lorsque le 19e amendement à la Constitution américaine a accordé aux femmes le droit de vote. Bien sûr, l’Histoire le dira, tout restait à faire, mais la cuisine, les recettes, la bouffe ne servaient pas qu’à s’alimenter…

Photo: Le Buzz, Unsplash

Je m’en voudrais de ne pas vous donner des exemples trop savoureux tirés de ce livre.

Il y a donc, avec sa recette de Conserve de tomates vertes et de figues dans le vinaigre, Lucretia Longshore Blankenburg, présidente de la Pennsylvania Woman Suffrage Association à qui on lançait des roches à l’école, sous prétexte que sa mère était médecin.

Il y a aussi la première femme du Commonwealth pour qui on a mis les drapeaux en berne à sa mort, Kate Waller Barrett. Cette grande défenderesse des mères célibataires rejetées par la société était loin de se douter que sa recette de Pancakes de Virginie au four ferait peut-être saliver aujourd’hui des femmes qui ont accès à l’avortement.

Incroyable, mais vrai, pendant qu’elle faisait cuire son Véritable jambon du Kentucky caramélisé, Madeline McDowell Breckinridge sortait pour sa part donner des discours pour le droit de vote des femmes, malgré sa voix cassée par la tuberculose… qui lui coûta même un pied! Ce n’est pas sa jambe de bois qui allait par la suite la ralentir!

Notons aussi la participation savoureuse de Charmian Kittredge London, seconde épouse de Jack London, qui a aussi été dans la vie de Harry Houdini, et de l’actrice russe Alla Nazimova qui, entre deux ou trois gâteaux préparés pour son mari qu’elle n’aimait pas, aurait inventé l’expression «sewing circle», sorte de code secret pour désigner les actrices lesbiennes ou bisexuelles qu’elle fréquentait dans la salle de maquillage.

Voilà pour le potinage appétissant. Ça me rappelle que j’ai hâte que les restos rouvrent, et qu’avec mes suffragettes à moi, on s’ennuie de se partager des recettes et des historiettes qui font oublier le sale temps. Et tant pis pour la ligne, choisissons nos combats… Buon appetito!

Je craque pour…

L'installation vidéo interactive Façade

Parmi les projets artistiques nés à travers la pandémie, il y a celui du nouveau collectif montréalais Les Slacheurs, qui a créé une épatante installation vidéo interactive intitulée Façade, présentée jusqu’au 1er novembre sur la façade d’un édifice situé au 200 rue Bellechasse, à Montréal.

Tous les soirs, de 18h à 23h, un récit audacieux créé en collaboration avec HUB Studio et Elevation IT y est présenté, vibrant au rythme de la circulation automobile...

Photo: Instagram Lou Rie

Le tout a été imaginé par l’artiste internationale LouRie (Marie-Lou Desmeules),  qui a utilisé de vraies personnes transformées comme canevas sur lesquels elle a appliqué différents matériaux bruts et de la peinture pour sculpter de nouvelles personnalités archétypales ressemblant parfois à des icônes populaires connues.

Grâce à l’ambiguïté suscitée par le mélange de beauté et de laideur, on est plus à même de saisir les complexités liées aux perceptions souvent erronées que nous avons de nous-mêmes. Confrontant et salvateur. Juste assez burlesque pour faire exploser les temps mornes.