Le français du Québec à l’honneur à la nouvelle Cité de la langue française
«Ma patrie, c’est la langue française», écrivait le juste Camus. C’est le président français Emmanuel Macron qui le rappelait le 19 octobre à l’ouverture officielle de la Cité internationale de la langue française, premier lieu culturel dédié à la langue française, que j’ai pu visiter avant tout le monde, il y a une dizaine de jours, à Villers-Cotterêts, situé à plus d’une trentaine de minutes de train de la gare du Nord à Paris et où le Québec et sa langue font bonne figure. J’allais y veiller…
Pas étonnant, j’ai la langue française à cœur, j’en fais un de mes combats personnels, au point qu’une partie de ma vie professionnelle s’y consacre, à commencer par la simple pratique de l’écriture. La cause semble aussi précieuse pour le président Macron puisque c’est ce projet en particulier qu’il a choisi parmi une kyrielle d’autres lors d’un appel à idées lancé il y a un peu plus de six ans pour l’avenir du château à l’abandon qui abrite désormais cette nouvelle Cité, mais qui fut construit à partir de 1532 sous les ordres de François 1er. C’est d’ailleurs là, dans ce qui n’était alors que sa résidence de chasse – et de party… –, que le roi y signa l’ordonnance qui allait imposer dans les actes officiels l’usage du français en lieu et place du latin.
Je ne débarquais pas dans la ville de naissance d’Alexandre Dumas – dont on croise la maison natale sur le chemin menant de la gare à la Cité – avec la même désinvolture peut-être qu’un autre francophile dont la langue maternelle et d’usage ne vit pas dans l’ombre de l’anglais, faisant souvent l’objet de mépris à l’intérieur même de son pays (et de sa province, où elle est pourtant officielle) par de carrés personnages incapables de la parler ou de la reconnaître. Ça allait inévitablement teinter mon œil, mon jugement, ma réception des installations, il va sans dire…
«Vous avez vu, on a tenu compte de votre essence et de vos combats. On parle de loi 101, de loi 96, des nuances, des changements sociaux, on a fait nos devoirs», a insisté, en m’interpellant avant mon retour dans la Ville Lumière, le passionnant Xavier North, commissaire scientifique de l’expo et délégué général à la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture de 2004 à 2014. Oui, même si le français est parlé par des centaines de millions de personnes à travers le monde, le français du Québec, avec toutes ses particularités, y fait bonne figure donc, même avec son accent, quoique puissent en penser ceux qui croient bon doubler l’anglais du Canada par des Parisiens dans des productions audio...
Dès le début de la visite, Robert Charlebois, Gilles Vigneault, Lisa LeBlanc, des acteurs de la série Les beaux malaises, dont Martin Matte, font partie des artistes de la langue qui «accueillent» les visiteurs à travers les quinze salles réparties en trois sections, incluant une salle d’introduction sur le château – à l’histoire pas banale… – et son territoire. Aux côtés de trois autres dramaturges, une saynète de la Québécoise Carole Fréchette est livrée en contrepoint dans une réinterprétation contemporaine d’une scène des Femmes savantes de Molière. Belle idée pour démontrer la permanence du ressort comique ou dramatique que constituent la langue et sa réinvention continue. Toujours dans cette visite qui dure au moins une heure trente, l’évolution du français à travers le monde, avec ses spécificités d’un endroit à l’autre, ses couleurs, ses changements, y est présentée sur différents supports technologiques. Du point de vue éducatif et ludique, c’est assez complet, du moins à ce que j’ai pu en voir sur le chantier, où les ouvriers s’affairaient dans un dernier droit. À l’ouverture du 19 octobre, la littérature d’Hélène Dorion a notamment fait belle figure, et dans la programmation «hors ses murs», le 6 décembre, Lynda Lemay y sera en concert, tandis que cet automne, l’artiste en arts visuels Éveline Cantin-Bergeron fera pour sa part une résidence au Château.
La Cité ne se consacre donc pas qu’à son exposition, mais accueillera aussi des artistes, des spectacles et des expérimentations. On promet aussi que d’autres bâtiments autour de l’immense cour des Offices seront graduellement aménagés… On pense notamment à des restaurants et à des hôtels. Est-ce que le détour vers Villers-Cotterêts en vaut la chandelle? Oui, oui, pour le français, les installations de feu, mais oui aussi pour l’expédition à l’extérieur de Paris, question de souffler un peu. Le chaos parisien m’est apparu plus fou que jamais et un château qui renaît avec un peu de nous entre ses murs, c’est déjà pas mal «trippant», un mot à la québécoise relevé chez feu François 1er. Quand même.