La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

L’été dernier: le grand retour de l’audacieuse et lucide Catherine Breillat

Film d’exception, à part des autres, profondément ébranlant, voire confrontant, L’été dernier, qui prend l’affiche le 12 juillet, marque un retour en force pour la cinéaste française Catherine Breillat (À ma sœur, Romance, Une vieille maîtresse). En plus de s’inspirer d’un autre long-métrage, Queen of hearts, danois celui-là, avec ce nouvel opus, ce sont les délicates coulisses d’une liaison entre une femme et son beau-fils beaucoup plus jeune qu’elle investit.



Au départ, il y a une famille «normale», composée d’un couple de professionnels aisés; Anne (Léa Drucker) et Pierre (Olivier Rabourdin), qui ont dépassé la quarantaine, et leurs deux fillettes de six et sept ans. Puis, dans les chaleurs de l’été, surgit Théo (Samuel Kircher), le fils du mari et ado rebelle qui revient vivre auprès de son père après une longue absence.

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Si, a priori, le lien entre la belle-mère et ce garçon s’inscrit dans un rapport sans failles apparentes, sournoisement, avec une maîtrise des complexités et déraisons humaines, Breillat tisse une toile d’araignée entre eux, et au cœur de laquelle une montée du désir, puis ce que j’ose appeler l’ébauche d’un sentiment amoureux viennent tout faire basculer.

La chute est si habilement menée dans l’esthétique filmique comme dans les prouesses scénaristiques que les spectateurs s’emmêlent au même titre que les personnages dans les fils de leurs propres réflexions éthiques et morales. Il me semble que c’est ici que réside la très grande force du récit; révélant que bien qu’impardonnables et abjectes, ces relations d’abus sous-tendent beaucoup de choses, parce que sous le vernis, les blessures et traumas ne guérissent jamais tout à fait, qu’endormis dans nos fragilités cachées, ils peuvent réapparaître sous des formes insoupçonnées. Et s’il n’y a pas de parfaite victime, il n’existe pas non plus de prédateur parfait.

C’est réveillés par l’image de pureté et de jeunesse retrouvée que le jeune lui renvoie soudain que les drames du passé reviennent hanter Anne, une brillante avocate qui défend les mineurs victimes d’abus et les jeunes en difficulté (quelle ironie!). Sans jamais cautionner l’adultère, voire l’inceste, Breillat exacerbe plutôt dans des scènes pour le moins suggestives les manières inconscientes dont nos plaies peuvent redevenir suintantes, aussi condamnables puissent en être les conséquences. C’est tout le poids d’une enfance brisée et ses manifestions tardives qui sont aussi mises en relief à travers la prédation d’Anne, l’entichement pour elle de son beau-fils, ainsi qu’un système qui se tait.

Au même titre que pour les personnages, ce sont alors nos propres angles morts, biais inconscients et aveuglements qui se retrouvent au banc des accusés. Que la figure de celle qui commet l’impensable soit une femme, avocate, mère instruite et intelligente de surcroît, alors que la culture littéraire et cinématographique des derniers mois nous propose des hommes en prédation, convoque aussi des émotions complexes qui vont au-delà de l’indignation. C’est tout un autre spectre de ressorts psychologiques qui se manifeste à travers les non-dits présentés. Culpabilités, mensonges, hontes, regrets, trahisons et manipulations prennent alors une tout autre teinte.

S’il y a de l’audace dans cette proposition, il y a surtout une immense lucidité qui ne valide ni n’invalide rien, mais qui montre à la face du monde l’existence la plupart du temps inavouable de nos dérives et plus bas instincts. Le vernis n’est jamais à l’abri des craquelures, celles qui avalent les innocents à la chaîne. Si ça aura pour certains l’effet d’un appel à la vigilance, d’une critique sociale, d’un miroir inversé à l’endroit de tous les Consentement, Triste tigre et Familia grande de ce monde, cette histoire est surtout le portrait de possibles dérapages, quand les pulsions prennent le dessus sur la raison. Toujours, il faudrait rester aux aguets, il en va du combat de tous de mener des batailles contre ses dévastations pour ne pas faire sombrer les autres au passage.