Air d’été en mer Égée
Les Cyclades constituent cet archipel de Grèce au sud de la mer Égée qui compte des îles comme Santorin, Mykonos, Naxos, Amorgos. Vous savez, ces endroits atrocement laids… Je blague, bien sûr, d’autant plus que le nouveau film justement intitulé Les Cyclades du cinéaste français Marc Fitoussi, qui prend l’affiche chez nous dès le 31 mars, donne envie de voyager, de se sacrer à poil dans un Jacuzzi en fumant des pétards, bref, de ressusciter l’ado en soi. Avec sa meilleure copine aussi.
Le hic, c’est que, trente ans plus tard, les amies d’avant qui s’étaient perdues de vue après s’être brouillées vers quatorze ans ne se voient plus. À moins que le fils de vingt ans de Blandine, incarnée par Olivia Côte, la plus «straigh» des deux – comme le veut le cliché au cinéma, il y a la terre-à-terre et l’autre, l’extravertie-flyée –, organise à son insu des retrouvailles avec Magalie (Laure Calamy), sa copine d’antan, dans l’espoir de lui ramener la joie au cœur au sortir d’une dépression post-divorce. Comme si c’était simple comme ça… De fil en aiguille, les anciennes complices du début des années 1990 se retrouvent à devoir partager un voyage à Amorgos, lieu de tournage du fameux Grand Bleu, film culte de Luc Besson, où elles s’étaient un jadis promises de fuguer.
Si les différences de personnalité paraissent moindres dans la jeunesse, à l’âge adulte, c’est monumental. Si bien que les deux femmes semblent bien mal assorties, trop différentes, aux extrêmes du spectre de la psychorigidité. Si d’appuyer sur ces contrastes vient à énerver en prenant des tournures caricaturales, les répliques loufoques rappellent tout de même des situations que plusieurs reconnaîtront, à commencer par les nostalgiques qui ont bien connu (dansé, aimé et festoyé) les années 1990.
Fin quarantaine, Magalie et Blandine, elles, se souviennent, et nous y entraînent avec elles jusque dans leur aventure dans les Cyclades où, évidemment – et encore les clichés –, rien ne se passera comme prévu, on s’en doute. Ce qui touche, c’est quand on s’aperçoit bien vite qu’au-delà de tout, comme le chante si bien Céline Dion sur des paroles de Jean-Jacques Goldman, «on ne change pas».
Avec leurs réflexes, morale, références et le bagage de leur époque, les jeunes filles d’hier qui sommeillent en nous ne sont jamais très loin, pas tout à fait endormies, pas tout à fait désenchantées ou cyniques non plus... C’est certainement leur sensibilité et leur humanité respective qui sauveront la donne, rendant éventuellement possible – ou pas – cette résurrection amicale, à commencer par la présence de Bijou qui fait des bijoux à Mykonos avec son amoureux grec qui, lui, fait ses quatre volontés. On passe le test de Bechdel ici, ça va de soi, les hommes deviennent de vrais accessoires, quoique les déclencheurs de tourments, comme souvent d’ailleurs. Incarnée par Kristin Scott Thomas, de plus d’une décennie leur aînée, cette femme a beaucoup à leur apprendre. Sans que ces leçons soient d’une grande profondeur, je pense sincèrement qu’elles contribuent à faire des rappels bienfaiteurs sur fond de comédie somme toute agréable, parce qu’après tout, ce qui se passe à Mykonos ne peut pas être désagréable, à commencer par les images, les couleurs, le rêve qu’on nous vend dans le détour.
Film d’amitié, de sororité, de transmission, de renaissance, de croisée des chemins, c’est mignon comme un été qui ne demande qu’à éclore, touchant aussi pour celles qui se souviennent, et salvateur, en voyant des femmes naturelles qui prennent leur destin en main; battantes contre les carcans et stéréotypes dans lesquels on veut souvent les enfermer après quarante ans pour qu’elles s’effacent un peu, tombent dans le ridicule ou deviennent pathétiques. Juste parce qu’elles ne courbent pas l’échine et s’assument telles qu’elles sont, je pense qu’il y a là une magie feel-good sur laquelle je ne pourrais pas me permettre de lever le nez.