La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Femmes, unissons nos forces!

Il y a quelques mois, lors de l’organisation d’un événement à portée sociale autour d’une noble cause, j’ai rassemblé plusieurs femmes québécoises d’origines diverses, toutes générations confondues. Parmi ces personnes dont je suis admirative des réalisations, l’une des plus jeunes, appelons-la Marie, qui a la fin vingtaine, a décliné mon invitation sous prétexte qu’une autre participante, disons Lison, une nonagénaire de marque avec un curriculum vitae long et garni, était «problématique», qu’elle ne partageait pas ses idées. J’aurais nommé Charles Manson ou Marc Dutroux que l’effet à l’autre bout du fil aurait été pareil… La dame âgée, elle, avait pour sa part accueilli avec bonheur la présence de la plus jeune, saluant au passage son talent. Fin de l’anecdote.



Or, cette histoire ne me sort pas de la tête depuis et j’avoue que je l’ai aussi en travers la gorge. Je ne suis pas en colère contre celle qui pourrait être l’arrière-petite-fille de la nonagénaire «problématique», je respecte ses positions, elle y a droit, je l’entends, j’accueille ses idées. Mon immense malaise vient plutôt d’une forme de tristesse devant le rejet de la plus âgée par la plus jeune. Je précise que la Lison en question n’a jamais été accusée d’abus ou de violence, elle n’a jamais fraudé le système, jamais pris part à des manifestations du Ku Klux Klan, jamais arboré de signes nazis, jamais professé de menaces de mort à qui que ce soit. Lison est une arrière-grand-maman, jadis considérée comme progressiste, révolutionnaire, qui a contribué par la nature de son travail à l’essor des femmes au Québec, entre autres, boulot qu’elle poursuit, acceptant les invitations à toutes sortes de projets, sans jamais faire de chichis, sans jouer les divas, avec une gentillesse et une générosité hors du commun.

Où le bât blesse-t-il? Il y a quelques années, Lison a tenu publiquement des propos politiques jugés offensants. Oui, il y a eu maladresse de sa part, j’en conviens, j’étais la première à bondir six pieds de haut sur mon sofa en l’entendant à la télé s’exprimer en tournant les coins ronds sur certains aspects à l’ordre du jour. Allais-je pour autant «canceller» cette femme à tout jamais, l’éloigner de mes projets, refuser de lui tendre le micro en faisant fi de sa longue carrière saluée de manière quasi unanime? J’ai remis en contexte ses propos, me disant que si je suis encore de ce monde à son âge vénérable, il se pourrait qu’un jour, et même demain, je sois mal reçue, me rappelant que le stress de la télé, ajouté à un encadrement médiatique moyen, voire un montage désavantageux, contribue parfois à ce genre de dérapages. Bref, j’ai passé l’éponge, gardant en mémoire le meilleur de Lison, qui fait partie des bâtisseuses du Québec et sans laquelle les mères de notre nation, leurs filles, mes paires, Marie et moi ne serions pas là où nous sommes.

À 42 ans, pour la première fois de ma vie de féministe, j’ai le sentiment étouffant et anxiogène d’être coincée entre les pionnières, mes «mères» qui ont défriché, et les nouvelles battantes, mes «petites sœurs» qui veulent brasser les cartes, y mettre de leurs idées, allumer le feu avec le bois qui les façonne. Photo: Becca Tapert, Unsplash

Femme-sandwich

À 42 ans, pour la première fois de ma vie de féministe, j’ai le sentiment étouffant et anxiogène d’être coincée entre les pionnières, mes «mères» qui ont défriché, et les nouvelles battantes, mes «petites sœurs» qui veulent brasser les cartes, y mettre de leurs idées, allumer le feu avec le bois qui les façonne. Entre celles qu’on accuse parfois de résister aux changements et celles qui prétendent apporter autre chose, là où il devrait y avoir unité, sororité et consolidation des forces et des expériences respectives, par les temps qui courent, je sens discordes, tensions, moqueries et rejet.

À quand une réconciliation, une écoute, des échanges constructifs? Comment continuer avec le meilleur de chacune? Comment surtout se parler, est-ce même encore envisageable, ou seules des revendications signent-elles l’arrêt de mort d’une possible discussion? Je rêve d’un grand forum nous rassemblant toutes, sorte de sommet des femmes axé sur la transmission de part et d’autre.

Puis, je ne crois pas que ce soit en creusant davantage le fossé entre les camps comme on le ferait pour y déposer un cercueil que la social- démocratie et les luttes féministes pourront encore aller bon train, renforcir nos droits dont on souligne l’importance en ce 8 mars. On a besoin de toutes les femmes: vieilles, jeunes, grosses, minces, handicapées, privilégiées, retouchées, naturelles, célibataires, nullipares, mamans, monoparentales, mariées, riches, pauvres, de gauche, de droite, d’ici, d’ailleurs, anglophones, francophones, autochtone, LGBTQIA+ pour venir un jour à bout de problèmes récurrents dont elles sont les principales victimes, par exemple la pauvreté, qui touche particulièrement les femmes en pandémie. Bien sûr, on a aussi besoin des non-binaires. Et des hommes.

Ça prendrait l’expérience des unes et la ferveur des autres pour continuer, se décoller de notre nombril, voir en périphérie, aider celles qui tirent le diable par la queue chez nous, ces immigrantes sans accompagnement ou encore celles qui, marginalisées pour leurs origines, leur santé ou leurs idées subissent hargne et mépris. Ce fossé, il faudrait le remplir, le faire fleurir, y cacher nos munitions, les accumuler. J’ai l’impression que ça presse.

Pour insuffler des paillettes à cette journée spéciale, j’aimerais vous laisser sur ces mots de Louise Dupré, puisés dans la nouvelle Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000-2021, qui parait le 9 mars, préparée par Vanessa Bell et Catherine Cormier-Larose et que, dans Le Devoir, Dominic Tardif a qualifiée avec justesse de «grand embrasement de la poésie des femmes». En voilà un beau symbole d’unité entre les générations.

«Quand on ne veut plus se questionner, on est près de l’agonie. Lire la poésie actuelle, c’est pour moi la meilleure façon de découvrir en moi des voix qui dorment.»