La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Envoûtante Frida

«Emmurer la souffrance c’est prendre le risque qu’elle te dévore de l’intérieur.» C’est fou comme ces mots de la grande Frida Kahlo résument bien son rapport à la création, certes, mais aussi celui qu’on devrait tous cultiver devant les impasses qui paraissent insurmontables, y compris certaines qui, hélas, le sont sans doute pour vrai, insurmontables. Et c’est précisément cette dimension-là de l’artiste culte mexicaine qui m’a semblé être à l’avant-plan de l’exposition immersive déambulatoire Frida Kahlo, la vie d’une icône, présentée au centre Arsenal art contemporain à Montréal, une cocréation de la Frida Kahlo Corporation et de Layers of Reality, célèbre centre d’arts numériques espagnol.



Tant mieux si cette expo dite «biographique» qui utilise sept espaces de transformation différents mise sur une dimension plus intérieure et moins exploitée de Frida, qu’on a d’ailleurs fini par connaître par cœur tant elle fait désormais partie des icônes les plus adulées à travers le monde.

Tellement actuelle, plus que jamais, même dans nos sociétés industrialisées, elle représente la diversité des corps, symbolise une féminité décomplexée, libre, assumée, bref, Frida montre le champ des possibles, l’incarne. L’attention qu’on lui témoigne prouve nos avancées. Je ne dis quand même pas que nous pouvons enfin jouir des mêmes libertés que les hommes, faire fi des codes sexistes ou patriarcaux incrustés depuis l’origine du monde, que nous y sommes enfin arrivées, diantre, non. Mais sa popularité démontre bien que le message est accueilli, que les intentions sont là, qu’on reçoit, comprend, qu’on y est peut-être presque. D’ailleurs, à la fin des années 1990, le Musée des beaux-arts de Montréal lui avait consacré une expo qui n’avait pas attiré les mêmes foules qu’il y aurait eu aujourd’hui si on la refaisait.

J’avais accroché un immense laminé du visage de Frida sur un mur du salon de mon premier appartement montréalais. Chaque fois, les visiteurs se demandaient qui était cette belle dame qui ne correspond pas à l’image qu’on se fait généralement d’une belle femme… Elle fait aussi cet effet-là, Frida. Tant mieux, elle secoue. Bref, elle n’était pas connue par la vaste majorité des gens il y a de cela ne serait-ce que 20 ans.

Aujourd’hui, des gamines de 9 ans l’adulent. Des gamins aussi en sont charmés. Ça change de Barbie. Ma fille a une jupe avec Frida, une illustration avec Frida (signée Élise Gravel), un sac Frida, un livre sur Frida, une boule de Noël Frida, un cahier à colorier avec des Frida… J’ai juste hâte de voir si, plus vieille, elle revendiquera le monosourcil et la moustache de Frida. Si tel est le cas, je la trouverai chanceuse de s’être affranchie des diktats de beauté moderne et je crierai victoire.

Fiston, lui, fait une fixation sur l’histoire de cet accident d’autobus vécu par l’artiste, qui rentrait de l’école avec son petit ami de l’époque, Alejandro Gómez Arias, en septembre 1925. Dire que, ce jour-là, Frida avait retardé son voyage après avoir réalisé qu’elle avait égaré son parapluie… Empalée par une longueur de fer, ses blessures furent atroces et la confinèrent au lit, d’où elle peigna l’essentiel de son art autobiographique.

Le tragique de cet événement frappe effectivement l’imaginaire et je le raconte parfois pour expliquer aux petits comment elle est parvenue à transcender ses souffrances physiques et morales en créant. «Take your broken heart, make into art», disait feue la fabuleuse Carrie Fisher – princesse Leia – devant l’adversité.

Et oui, les enfants apprécieront la visite aussi. Il y a une réplique de l’espace où Frida accueillait ses élèves d’art. On peut y colorier des Frida, en projeter le résultat au mur. Il y a aussi deux photobooths pour immortaliser notre portrait dans l’esprit floral de Frida.

Quant aux éléments biographiques plus «classiques» de l’expo, bof, on les connaît pas mal désormais. La file était longue en fin de journée quand j’y suis passée pour essayer de lire sur les panneaux, surtout qu’il y a toujours quelques personnes qui s’y attardent, lisant à vitesse de tortue. Impatiente de nature, ce n’est donc pas là que j’ai pris mon pied.

Le hit de l’expo se trouve immanquablement dans l’expérience en réalité virtuelle, possible pour 11,49$ – à ajouter à votre droit d’entrée de 40,23$ –, pour faire un voyage complètement fou d’une quinzaine de minutes à partir du lit de Frida. Payez-vous ça. J’ai un peu eu l’impression de mourir. Je veux dire que je me suis demandée si c’était ça, l’effet que ça faisait en arrivant «en haut». L’effet est vertigineux, envoûtant, j’en aurais pris plus longtemps. Il n’y aura jamais trop de Frida en ce bas monde.