Entrevue exclusive avec le ministre Mathieu Lacombe
Assermenté l’automne dernier, le nouveau ministre de la Culture et des Communications et ministre responsable de la Jeunesse, Mathieu Lacombe, apprivoise ses nouvelles fonctions avec des priorités comme rapprocher les jeunes de la culture québécoise et faire une plus grande place aux contenus d’ici sur les grandes plateformes en ligne. Tout ça avec des sommes allouées à la culture qui représentent à peine plus de 1% du budget total de la province. Le ministre se dit passionné par la musique des Cowboys Fringants et d’Ingrid St-Pierre, il a hâte de voir Le projet Riopelle chez Duceppe et fréquente la Maison Théâtre avec ses fils, mais concrètement, qu’y a-t-il sur le radar du ministre? Que compte-t-il faire pour valoriser et soutenir la culture québécoise? Entrevue de Claudia Larochelle.
Claudia Larochelle: Plus de 60 ans après la création du ministère des affaires culturelles, où en sommes-nous avec les objectifs de politiciens qui ont misé beaucoup sur notre culture, comme les Lapalme, Lesage, Bourassa ou Lévesque ?
M.L.: Je dirais que la culture se porte bien sur plusieurs aspects, juste à penser au dynamisme de nos industries culturelles, au nombre de publications québécoises, qui a explosé ces dernières années, à l’art du cirque, qui a été réinventé au Québec, à notre incroyable créativité numérique, à la force de nos productions télévisuelles, notre musique… En même temps, on a un immense défi de «découvrabilité», le fait de pouvoir proposer nos contenus plus facilement aux Québécois lorsqu’ils cherchent par exemple de la musique à écouter. Auparavant, quand vous entriez chez le disquaire, la musique québécoise était mise en évidence, si bien que les ventes d’albums de musique franco d’ici étaient importantes. Maintenant, ce n’est plus le cas. Les grandes plateformes sur lesquelles on s’alimente en musique ne mettent pas les chansons québécoises en évidence, ne les proposent pas systématiquement aux internautes ou aux gens sur leurs téléphones via les applications. Il est là, le défi. Je dis souvent qu’on ne peut pas choisir quelque chose qui ne nous est pas proposé, qu’on ne peut pas aimer quelque chose qu’on ne connaît donc pas.
C.L.: L’attrait de plus en plus fort du contenu anglophone sur les fameuses plateformes me semble être une affaire à baliser, dans l’intérêt de notre culture, donc de notre langue française. Comment comptez-vous y arriver?
M.L.: Le gouvernement fédéral a posé un premier geste avec l’adoption du projet de loi C-11 qui vise à encadrer les contenus culturels sur les plateformes numériques en exigeant la présence de contenu canadien. S’il a été écrit avec des lunettes canadiennes, il faut maintenant le voir avec des lunettes québécoises, mettre tout en œuvre pour que le contenu québécois soit mis en valeur. Les géants numériques ne doivent plus pouvoir débarquer chez nous sans encadrement. On ne peut pas tolérer cette forme d’impérialisme culturel. De nombreux États européens, comme la France, l’Italie et la Wallonie, sont eux aussi en action dans ce sens.
C.L.: Est-ce en partie pour ça que vous serez en juin à la prochaine rencontre de la conférence des parties de l'UNESCO à Paris?
M.L.: Oui! Nous nous sommes battus au début des années 2000 pour que la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO voie le jour. J’ajouterai notre voix à toutes celles qui réclament que les grandes plateformes numériques garantissent la visibilité et cette «découvrabilité» des contenus culturels nationaux et locaux. J’ai la ferme conviction que le Québec peut fédérer, rassembler et mobiliser les nations francophones derrière cet objectif et devenir l’un des visages de cette lutte.
C.L.: Vous êtes père de deux garçons de 6 et 9 ans, vous êtes aussi ministre responsable de la Jeunesse, vous n'êtes donc pas sans savoir qu'il faudra convaincre les jeunes d'aimer la culture francophone locale, que ça passe beaucoup par eux. Comment comptez-vous y parvenir?
M.L.: Dans le dernier budget, on a annoncé un investissement public majeur dans Télé-Québec. 100 millions $ vont permettre de créer davantage de séries télé jeunesse. On a beaucoup augmenté les budgets pour les sorties scolaires dans les dernières années. Une somme de 4,5 millions $ a été annoncée pour la mise sur pied d’un passeport culturel pour nos jeunes, pour augmenter leur fréquentation de nos salles de spectacles, nos musées et lieux culturels.
C.L.: Qu’envisagez-vous du côté de notre littérature, de sa place en matière de culture, car la lecture reste une assise culturelle forte, notamment pour la préservation du français?
M.L.: Au cours de mon mandat, j’ai annoncé qu’il y aurait une année nationale du livre. Des annonces viendront sous peu. On a une politique du livre qui date et on a la possibilité de remettre ça à jour, tout en continuant d’investir dans les bibliothèques publiques, dans les écoles, notamment avec cette nouvelle mesure du ministre de l’Éducation d’octroyer à chaque enseignant un budget annuel de 300$ pour acheter des livres québécois.
C.L.: L’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) traverse actuellement une crise dans laquelle la sauvegarde de sa fameuse Maison des écrivains est menacée, vu les coûts de réfection et d’entretien. Comptez-vous intervenir dans le débat?
M.L.: Ce n’est pas prévu pour l’instant. Ça doit avoir lieu entre les instances concernées. C’est aux membres de se servir de leur exécutif et de leurs assemblées pour prendre une décision. Le conseil d’administration et la présidente ont récemment annoncé leur démission, il y aura une nouvelle formation, ce qui, j’imagine, permettra de relancer le débat autour de cette question.
C.L.: Si j’insiste sur le livre en culture, c’est aussi parce que ces dernières années, en pandémie, c’est un des secteurs culturels qui a su le mieux tirer son épingle du jeu avec des hausses de ventes assez impressionnantes. J’ai l’impression que le gouvernement a saisi la force du lien possible entre les Québécois et le livre, que ça répond à un besoin qu’il faut protéger, dans lequel investir. Qu’en pensez-vous?
M.L.: Je réitère que c’est ce que nous faisons sans relâche et ça me réjouit particulièrement, parce que si je suis ministre aujourd’hui, c’est grâce à la lecture, c’est ce qui m’a sauvé. Enfant, j’ai fait une douzaine d’écoles au primaire et au secondaire, quelques familles d’accueil, bref, je me suis promené pas mal. Il n’y avait pas beaucoup d’opportunité d’être au contact de la culture, mettons. Un jour, on m’a offert une caisse de livres et ça m’a ouvert un monde, je voulais m’entourer de livres, c’était devenu un refuge. C’est ce qui a fait en sorte que j’ai pu être premier de classe, notamment en français. Je ne serais pas où je suis si des livres n’étaient pas tombés entre mes mains.