La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Enseignante… et bien plus!

J’ai une amie d’enfance qui est enseignante en cinquième année dans une école primaire de Saint-Hilaire, sur la Rive-Sud de Montréal. Appelons-là Nadine. Nadine donc. On vient de raccrocher au téléphone. Elle est de la génération Y, qui a été habituée aux longues conversations au téléphone. Pas ceux à cadran, quand même!, mais les sans-fils qui permettaient de jaser avec les copines jusque dans la baignoire. Nadine a donc 40 ans et pas mal d’années d’expérience en enseignement, après avoir obtenu son baccalauréat au terme de quatre années d’études en éducation préscolaire et enseignement au primaire.



Pour Nadine, l’enseignement est une vocation. Petites, quand on jouait «aux métiers», c’était elle qui faisait la prof.

C’était à la fin des années 1980, quand il y avait encore du tapis dans les écoles et qu’on pouvait apporter des pop tarts dans nos boîtes à lunch…

C’était avant que l’enseignant devienne une pieuvre dotée de tentacules et de ventouses pour accomplir mille et une tâches.

Dans le groupe de Nadine, une classe régulière de banlieue comme il y en a beaucoup au Québec, il y a vingt-cinq garçons et filles de onze ans, sans oublier Julia, qui l’année d’avant était Julien. Comme elle aimait enfiler des robes, se maquiller et porter des faux ongles, avec l’accord bienveillant de tout le monde, jolie Julia peut enfin être elle-même.

TDAH, dyscalculie, dysphasie, dys…

Dans le lot, neuf écoliers ont reçu un diagnostic de TDAH (trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité) d’un professionnel de la santé. Parmi eux, il y en a qui sont aux prises avec des troubles de dyscalculie, de dysphasie et de dyslexie. Chacun d’entre eux a remis à Nadine en début d’année une liste de recommandations émises par leurs spécialistes respectifs. Certains doivent faire leurs examens en isolement dans un local vide (qu’ils peinent à trouver dans l’école surchargée), il y en a un qui doit garder en permanence un gros toutou grenouille sur ses genoux parce que ça le calme, une qui porte des coquilles antibruit aux oreilles parce qu’elle a une hypersensibilité aux sons et un qui par besoin constant de stimulation buccale a un mâchouilleur au bout de son crayon. Surtout, ne jamais le lui retirer de la bouche... Ces jeunes travaillent avec des ordinateurs portables datant de l’ère préhistorique dans une classe où il n’y a que deux prises de courant. Comme il n’y a qu’un seul technicien officiel pour dix écoles de la région, c’est rare qu’elle y ait accès quand se produisent des «bogues». Quand elle le voit, je vous dis qu’elle l’aime fort en titi. Nadine est un peu technicienne en informatique.

Aussi, mis à part ces cas de TDAH, il y a la petite Amina qui fait le ramadan, comme sa sœur Niva qui, l’année précédente, s’est presque évanouie pendant les examens parce qu’elle jeûnait. En cachette, Nadine l’a gavée de biscuits soda. Il y a Napoléon aussi, qui a fait deux fugues pendant des récréations et dont les parents refusent qu’il soit suivi par un psychologue. Quant à Philippe, qui a des problèmes de «vessie rapide», il peut, lui, aller au petit coin quand bon lui semble. Ah! ce qu’il en fait, des jaloux! Lors de certains événements, comme la fête des Pères, mon amie met des gants blancs sur ses tentacules pour expliquer aux autres pourquoi Jordan, élevé par deux papas, est «dans le jus» côté bricolage. Céleste, née par fécondation in vitro d’une maman en solo fait, elle, une carte pour son papi. Nadine a dû donner des explications sur la FIV aux petits curieux, trouver les bons mots… Nadine est un peu scientifique.

Il ne faudrait pas oublier les sempiternelles allergies alimentaires et les collations qui doivent être saines. Nadine est un peu nutritionniste.

Nadine s’est aussi aperçue que certains parents la «testait» en privant soudainement leur progéniture de leur médication quotidienne, comme Vivance ou Concerta. «Ils veulent juste être sûrs que leur enfant en a vraiment besoin. Alors, ils attendent que je remarque un changement de comportement avant de reprendre le traitement», précise l’enseignante.

En début d’année, dix parents lui ont demandé de faire asseoir leur enfant en première rangée afin qu’il puisse bien voir au tableau. La classe n’est malheureusement pas extensible. Alors, elle reçoit des chars de… Pour celui qui n’arrive pas à lire en lettres attachées, Nadine doit aussi réécrire chaque phrase en lettres détachées. Nadine est un peu diplomate. 

Cette illustration d'Élise Gravel qui circule abondamment sur les réseaux sociaux illustre bien les propos de Claudia Larochelle!

Un peu politicienne

Comme elle enseigne en cinquième année et que c’est à ce niveau que se font les demandes d’admission au secondaire, Nadine s’est fait offrir – en les refusant – ce qu’elle appelle en riant des «enveloppes brunes», après que des parents l’aient implorée de modifier les notes aux bulletins de ceux qu’ils veulent voir entrer dans les meilleures écoles. Nadine est un peu politicienne.

Quand elle se couche le soir – après avoir bordé ses propres enfants –, Nadine s’endort très rapidement, avec parfois une pensée tristounette qui revient la hanter.

Un jour, elle a demandé à ses écoliers comment ils voyaient leur vie quand ils seraient adultes. «Ça me fait vraiment de la peine, Claudia... La grande majorité des 25 cocos ne désirent pas faire d’enfants. Sais-tu pourquoi? Ils ne veulent pas être fatigués et stressés comme leurs parents.» Parce qu’en plus de faire faire aux enfants du piano, du ski alpin, des cours de préparation aux examens d’admission dans les collèges privés et compagnie, les parents doivent eux aussi performer partout, faire des lunchs vegan, s’entraîner, rester jeunes…

«Tsé, les parents, poursuit-elle, ils ne respirent pas la grande joie de vivre. Ils mettent tout dans leurs enfants, qui deviennent leur projet de vie. Ils veulent tellement le meilleur pour eux, et c’est normal, mais ça devient une obsession. Ils s’oublient et oublient aussi que nous, les enseignants, ben on ne peut pas TOUT faire pour combler leur projet de vie. Et avec un manque de ressources pour l’époque actuelle! On fait tellement de notre mieux, si tu savais. Pis on les aime nos élèves, on les aime vraiment.»

Je sais.

Je craque pour…

Soliloquy, le nouvel album de Lou Doillon  

Lou Doillon, fille de Jane Birkin et de Jacques Doillon, demi-sœur de Charlotte Gainsbourg, la fille de Serge Gainsbourg… Avec pareille famille, difficile de ne pas être comparée, attendue, observée. J’ai toujours aimé cette rebelle aux airs sauvages, indomptables empreinte d’une sensibilité qui émane une fois de plus de ces douze chansons en anglais. Elles résonnent à travers sa voix chaude, rauque et boisée qui va si bien avec l’hiver en se racontant à elle-même, comme dans un soliloque, qu’elle en a fait du chemin, la courageuse. It’s you, en duo avec Cat Power, la folkeuse américaine, passe sa vie dans mes oreilles depuis quelques jours. Lumineuse mélancolie, quand tu nous tiens.