La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Il reste toujours quelque chose de l’enfance… toujours

«Croyez-vous qu’un seul bébé accepterait de naître si on lui exposait ce qui l’attend?»



C’est le romancier et essayiste français Pascal Bruckner qui pose la question dans son roman Le Divin enfant paru en 1992. Le déclin vertigineux de la planète, le système de santé qui lui promet d’interminables heures dans les urgences, des classes qui débordent, l’appel du Ritalin et éventuellement des antidépresseurs, des mamans qui parlent de leur «à-bouttisme» de parentalité à la télé, est-ce vraiment tentant tout ça?

Bien que je ne sois pas de ce courant de gens qui croient qu’il faudrait renoncer à l’enfantement et que mettre des bébés sur Terre est inhumain, je crois que les conditions dans lesquelles ont devrait le faire, présentement au Québec, méritent d’être sérieusement réévaluées au plus sacrant et qu’en cette Grande semaine des tout-petits, du 18 au 24 novembre, il est bon d’envisager mieux pour nos 0-5 ans, à la lumière des études récemment parues et en retenant qu’il s’agit là d’une période charnière qui aura un impact important sur le reste de leur vie. «Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours…», écrivait d’ailleurs Marguerite Duras en 1954 dans sa splendide nouvelle Des journées entières dans les arbres, adaptée 22 ans plus tard au cinéma. N’avait-elle pas raison?

Selon un sondage réalisé par la firme Léger pour le compte de l’Observatoire des tout-petits, créé par la Fondation Lucie et André Chagnon, nous sommes très nombreux à le penser, ce qui me rassure un peu sur la «bienveillance» de l’humanité adulte. En effet, si en 2015 38% des répondants estimaient que le Québec n’en faisait pas assez pour assurer le bon développement des enfants âgés de 0 à 5 ans, en 2018, cette proportion grimpe à 62%. Toujours cette année, 75% des personnes sondées considèrent aussi que le développement des 0 à 5 ans devrait être une priorité des décideurs publics (gouvernement-municipalités). Une p-r-i-o-r-i-t-é donc.

Je retiens surtout que ce bon développement n’est pas qu’une responsabilité parentale, que ça se joue ailleurs aussi, que les parents, toutes classes sociales confondues, ont beau avoir la meilleure volonté au monde pour leur progéniture – ce dont on ne doute pas –, quand les ressources scolaires et autres ne suivent pas, ce n’est pas possible de réussir. En matière de ressources, j’entends un dépistage des troubles d’apprentissage dès la maternelle (comment y parvenir quand les orthophonistes – et autres spécialistes – brillent par leur absence dans plusieurs classes du primaire?), un retour en force du Club des petits déjeuners dans les écoles qui n’arrivent pas à leur trouver d’espace (!), une aide financière accrue, plus de soutien aux nouveaux arrivants, un réseau de garderies avec suffisamment de places en CPE (ma fille a passé cinq ans sur la fameuse liste de La place 0-5 et n’a JAMAIS été appelée; on attend ce même coup de fil depuis deux ans pour fiston), etc.

La revue Nature Communications nous apprenait d’ailleurs dans une récente étude que des enfants issus de familles à revenu modeste qui ont reçu une éducation soutenue tôt dans leur vie traitent les autres avec une grande équité plus de 40 ans après, et ce, même si leur propension à se montrer équitables est associée à un important coût personnel. Très intéressant.

Photo: Colin Maynard, Unsplash
Photo: Colin Maynard, Unsplash

Riches comme pauvres, même combat

On parle beaucoup d’enfants issus de milieux défavorisés, soit. Bien sûr, les enjeux financiers les concernent souvent plus. Or, ils n’ont pas l’apanage de tous les maux concernant la manière d’élever nos minis, loin de là. J’ai toujours en tête l’exemple de l’auteur-compositeur Dan Bigras, issu d’un milieu fort aisé d’Outremont, fils d’un père psychiatre et psychanalyste, qui a souvent confié en entrevue à quel point la famille dans laquelle il avait grandi était dysfonctionnelle, qu’il en avait souffert tout au long de sa vie et qu’il en gardait encore des séquelles. Et que dire de cette infirmière du CLSC venue me visiter dans ce même secteur de la ville quelques jours après la naissance de ma fille et qui me racontait que c’était dans les coins les plus favorisés de Montréal, habités par les gens les plus scolarisés, qu’elle voyait le plus haut taux de détresse psychologique chez les mamans après la naissance d’un enfant? Selon ses observations, solitude, fatigue, stress, soucis de performance étaient fort présents, plus que dans les quartiers moins bien nantis où les familles bénéficiaient davantage d’un réseau de proches, d’amis, de voisins et de soutien d’organismes bien ancrés autour pour les soutenir et les aider à récupérer.

On dit que ça prend tout un village pour élever un enfant. J’ajouterais qu’il faut abattre les murs de la solitude, être plus aidant que jamais avec les jeunes familles fragilisées dans leur sommeil, la confiance, affectées par une croisée des chemins heureuse, bien sûr, mais ô combien faite de doutes, d’incertitudes, de changements majeurs. Les petits drainent beaucoup d’énergie. Pas plus que «dans le temps», certes, mais les conditions du jour sont différentes, ce qu’on demande aux parents aussi, à travers, entre autres, une conciliation travail-famille qui, ma foi, me semble être aussi impossible que de faire apparaître la Vierge Marie. Ça prend des grands-parents ou des proches de confiance qui viennent à la rescousse pour donner une pause aux parents, leur permettre de repartir un peu plus neufs pour être en mesure de se retrouver entre eux, de refaire à leurs petits des sourires et des câlins avec le même entrain, car ça prend aussi du temps pour aimer ses enfants sans ménagement, jouer avec eux, les amener à la biblio ou glisser. Et le temps, c’est le Saint-Graal de ce siècle.

Je craque pour…

L’essai de la députée-poète de Taschereau, Catherine Dorion, Les luttes fécondes: libérer le désir en amour et en politique, paru en mai 2017 chez Atelier 10 (très excellent et nécessaire éditeur d’essais), a changé la vie de plein de gens autour de moi. Certains se sont même séparés après l’avoir lu (n’ayez crainte, ça battait déjà de l’aile)!

Avec un regard lucide, efficace, différent et accessible, l’auteure tisse des parallèles très intéressants entre nos institutions politiques et le couple, la manière dont ils structurent et cadrent le monde sans possibilité d’être à contre-courant, à moins d’en faire les frais. Étrange comme cet essai est encore plus actuel ces derniers jours... Comme Catherine Dorion doit en ce moment même avoir envie d’ajouter un petit chapitre à cet épatant essai… À suivre.

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