La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Édition: les femmes encore désavantagées

L’époque où Amandine Aurore Lucile prit le pseudonyme de George Sand pour augmenter ses chances d’être publiée est peut-être révolue, n’empêche qu’un sexisme sévit toujours et dévalorise les œuvres écrites par des femmes par rapport à celles écrites par des hommes.



C’est du moins ce que nous apprennent les résultats d’une recherche menée par le Comité Égalité hommes-femmes de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) sur la place des femmes dans le champ littéraire et dans le monde du livre au Québec.

Le portrait partiel mais néanmoins révélateur réalisé en association avec le Réseau québécois en études féministes (RéQEF) à partir entre autres de collectes de données issues en majeure partie des années 2017-2018 s’amorce avec un fait notable: les femmes sont aussi nombreuses que les hommes à vouloir être publiées (48,32% pour les hommes; 48,82% pour les femmes), ce qui est en phase avec leur poids proportionnel dans la population, précise le document.

Là où ces résultats prennent une tout autre tournure et que l’égalité entre les sexes se brise, c’est lorsqu’on apprend que les manuscrits écrits par des femmes sont retenus dans une moins forte proportion que ceux écrits par des hommes, avantagés dans 56% des cas.

Un sexisme sévit toujours dans le milieu de l'édition et dévalorise les œuvres écrites par des femmes par rapport à celles écrites par des hommes. Photo: Alfons Morales, Unsplash

Encore désavantagées

Concernant les programmes de bourses à la création auxquels tous peuvent concourir, on apprend par ailleurs que si les femmes sont plus nombreuses à en recevoir (57% contre 43% pour les hommes), leurs bourses, elles, sont plus petites… Elles reçoivent en moyenne 19 791$, alors que leurs confrères vont chercher environ 26 425$.

Même son de cloche du côté des prix littéraires. Bien qu’elles en obtiennent presque autant que les hommes, la valeur des prix qui leur sont octroyés est vraiment moins élevée que celle des prix remis aux écrivains. Ils reçoivent 70% des montants contre 29% aux écrivaines; le 1% restant concernant les collectifs mixtes.

Au sujet de la réception des œuvres par les critiques et journalistes littéraires au sein de quatre médias québécois analysés, il appert que l’attention qui leur est accordée, exprimée en pourcentage, est de 36,81%, contre 57,55% pour les hommes. Il ressort aussi de cela que les hommes journalistes accordent plus d’attention aux livres écrits par des hommes, tandis que les journalistes de sexe féminin, elles, sont «parfaitement» paritaires.

Chiffres à l’appui, le bât blesse aussi du côté du champ lexical bourré de stéréotypes utilisés pour parler des livres écrits par des femmes, dont les textes sont qualifiés de «sensibles», «justes» et «délicats», tandis que ceux des hommes sont décrits plus souvent comme étant «intelligents», «grands», «remarquables».

Plus de patronnes du livre

Quant aux maisons d’édition détenues ou dirigées par des femmes, l’étude cite un mémoire de maîtrise datant de 2014 qui affirme que si elles sont plus nombreuses que jamais à occuper ces statuts, «c’est toutes fonctions confondues, et c’est à mesure que l’on s’élève dans les postes de responsabilité qu’elles sont minoritaires».

Aussi, à l’instar de la critique littéraire, les femmes en situation de pouvoir à la tête des maisons d’édition favorisent d’ailleurs plus les femmes que les hommes ne le font quand vient le temps de décider des œuvres à publier…

Bonne nouvelle dans ce flot moins réjouissant, j’en déduis qu’il semble y avoir une forme de sororité – inconsciente/volontaire ou non – dans la volonté des femmes de mettre à l’avant-plan les œuvres d’autres femmes. Tant qu’il y aura cette posture de coude-à-coude, les avancées auront lieu. Lentement, mais sûrement. Surtout, ne jamais baisser la garde.

Sans être dramatique, ce portrait me semble quand même préoccupant en Amérique du Nord en 2019, quand on sait que les livres sont encore achetés et lus majoritairement par des lectrices, des femmes en droit d’avoir accès à une représentation juste et équitable des idées et réflexions de celles et ceux qui les instruisent ou divertissent par l’écriture et la création.