Dolan à Cannes
«Cannes est un endroit qui est dur, les gens sont sévères, les gens, souvent, peuvent être vils. Ils aiment détester, ils aiment haïr, ils le montrent souvent, c’est très cruel, mais je ne ressens quand même pas de pression parce que je suis fier du film que j’ai fait et j’ai hâte de le partager. Est-ce que je l’ai bien fait? On le saura à travers le public. Cannes c’est une chose, mais qu’est-ce que le public en fait? Le film leur appartient maintenant, le film n’est plus à moi.»
Ces sages paroles d’un Xavier Dolan confiant étaient adressées, mardi dernier à Cannes, au journaliste Jean-François Bélanger, de Radio-Canada, qui venait de demander au jeune cinéaste de 27 ans son état d’esprit à la veille de la diffusion de son plus récent film, Juste la fin du monde, le deuxième de sa filmographie à être en compétition officielle au prestigieux festival.
L’après
Puis, depuis cette présentation, mercredi en fin de journée, il y a eu déferlante de commentaires et critiques, mitigés, moins élogieux qu’après la présentation de Mommy, il y a deux ans, récompensé alors non pas par la Palme d’or, mais par le prix du jury. «L’aura-t-il, sa Palme d’or, celle qu’il chérit tant, à l’âge de 27 ans? Si beaucoup s’accordent sur ses talents, pas certain que cela soit pour cette fois. […]Très attendu, Juste la fin du monde n’a pourtant pas créé l’enthousiasme escompté. Beaucoup ont vu dans ce long-métrage des boursouflures», écrivait Le Figaro.
«Le prodige de Mommy livre un huis clos théâtral, étouffant et ennuyeux», titrait pour sa part Première.
Du côté des Québécois, tout n’était pas noir: «Juste la fin du monde est pourtant loin d’être raté. Au contraire, ce drame familial à fleur de peau, avec sa distribution française de haut vol, possède de grandes qualités. À commencer par sa mise en scène ultra léchée, bercée par un mélange de hits pop et de superbes compositions classiques de Gabriel Yared, qui porte indéniablement la signature de son réalisateur. Dolan enrichit ici sa palette, en misant sur des gros plans et des effets de flou.
Capable d’émouvoir d’un simple regard dérobé, Marion Cotillard est bouleversante», notait Cédric Bélanger dans le Journal de Québec.
«La langue de Jean-Luc Lagarce, auteur de la pièce dont ce film est l’adaptation, est très particulière, il est vrai. Elle se matérialise parfois en un flot de paroles que Xavier Dolan, fidèle à son style, transforme en feu d’artifice. Mais au-delà de ces dialogues qui maquillent ce que les personnages n’osent jamais se dire, le cinéaste a le don de faire parler le sous-texte de façon encore plus éloquente. Les non-dits s’y révèlent de façon subtile et émouvante. Souvent cadrés en gros plans, les personnages baignent dans un clair-obscur dans lequel les regards sont admirablement filmés. L’as directeur photo André Turpin signe une fois de plus de sublimes images», exprimait pour sa part Marc-André Lussier dans La Presse.
«Film coup de poing difficile à avaler, complètement champ gauche, bien maîtrisé, bien filmé, c’est l’adaptation d’une pièce de théâtre, y’a une certaine lourdeur, un problème d’accès qui nous empêche de communiquer avec les acteurs. On est très loin de la gamme d’émotions qu’on est allés chercher avec Mommy», a pour la part signalé Catherine Beauchamp, du Tapis rose de Catherine, sur les ondes du 98,5 FM.
Le venin Twitterien
Quant à Twitter, les remarques allaient dans tous les sens après la projection; de l’encensement à, trop souvent, une sorte de démolition intégrale de gens d’ici qui pour la plupart n’ont pas encore vu le film, qui sort en septembre sur nos écrans… Je n’ai pas pu m’empêcher de relever les commentaires durs, voire haineux, à l’égard de Dolan, de son caractère qualifié de «prétentieux», «hautain», «baveux», «trop sûr de lui», etc. Pffffff. Et puis après? Sans vouloir généraliser, je nous trouve souvent bien méprisants à l’égard de nos grands talents qui s’illustrent, tête haute, à l’extérieur de nos frontières. Le cas Dolan n’est pas unique. Longtemps, Céline Dion a été victime de blagues déplacées, ou, puisqu’elle est une femme, on a disséqué son apparence physique dans les moindres détails. Comme s’il fallait encore – et oui, on ne s’en sort pas! – être nés pour ce petit maudit pain ranci et que, entre autres, devenir l’égérie de Louis Vuitton, nous n’en étions pas dignes. À ce que je sache, Dolan est très très apprécié de ses acteurs, il n’a pas volé personne, encore moins son immense talent, sa beauté ou son succès, il n’a pas tenu de propos racistes ou misogynes… C’est un gars d’ici - fils de comédien (Manuel Tadros) - qui a vidé son compte en banque pour se lancer en cinéma quand il n’avait pas encore de poils au menton. Il a rêvé, puis il a vu grand, et il a bien fait. J’aime que les jeunes voient ça, ainsi que ses films. Dolan me semble être un sensible, pour ne pas dire ultra-sensible, et bien souvent ces êtres intenses qui agissent avec le cœur, les tripes, la spontanéité et les coups de tête sont jugés durement dans une société où la tête et la raison sont valorisées davantage.
Quand il fait ses films, au-delà de tout, il s’amuse, il fait ce qu’il aime. Et puis, ce n’est pas la peine d’en faire tout un plat, il s’agit toujours bien juste de cinéma, pas d’opérations à cœur ouvert! Et ce film, qu’on aime ou pas (c’est notre droit), soyons-en tout de même un peu fiers. Du film et du génie qui est derrière tout ça. Avouons de toute manière que ça fait toujours un velours quand, ailleurs dans le monde, on replace notre accent, notre situation géographique ou notre province en lien avec Dolan, le Québécois génial qui marche la tête haute…