Dis-moi pourquoi nous n’aimons plus comme ça
Claudia Larochelle a vu le film Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles de Lyne Charlebois, à l’affiche à compter du 21 juin, et inspiré de la relation épistolaire entre le frère Marie-Victorin et Marcelle Gauvreau.
En faisant connaissance juste avant le milieu du 20e siècle, le frère Marie-Victorin, déjà quadragénaire, et la jeune Marcelle Gauvreau, alors scientifique en devenir, ont échangé une correspondance passionnée, mais chaste, d’un érotisme subtil, voire révolutionnaire, envers et contre tous les tabous d’une époque encore corsetée. À travers leurs mots, tout criait à une libération des mœurs dont nous pouvons jouir aujourd’hui. Mais quel est le prix de cette délivrance? Qu’en auraient-ils fait s’ils avaient vécu à notre époque?
Le film Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles de Lyne Charlebois, à l’affiche à compter du 21 juin, et inspiré de la relation épistolaire entre les deux humanistes, tranche avec le présent, comme si mille siècles séparaient leur «couple» des nôtres, comme si bien que plus libres, nous n’étions pas moins enchaînés aux dictats de notre temps. Pas plus comblés certainement.
Bien qu’empêchés, empêchés de succomber aux plaisirs de la chair, empêchés de vivre une conjugalité formelle, je ne crois pas qu’ils furent malheureux. Non, sincèrement, le film mettant en vedette Mylène Mackay et Alexandre Goyette pour les incarner, comme leurs lettres rassemblées pour la première fois dans une nouvelle édition en un seul volume de leurs échanges épistolaires intitulé Lettres sur la sexualité humaine (Boréal) ne témoignent pas d’une frustration dominante, ni d’une réelle soumission au contexte historique.
Partagées entre 1933 et 1944, leurs missives en partie consacrées à l’étude de la sexualité humaine, champ nouveau qui contrevenait à la morale dominante, mettaient du même coup en relief leur intérêt commun pour le sujet et, d’une bien poétique manière, l’art de se découvrir et de s’émouvoir sexuellement avec ferveur, sans jamais outrepasser l’effleurement, la sensualité. Comme si l’amour, le vrai, pouvait aussi se vivre autrement que dans les conceptions habituelles de l’acte sexuel.
Ode à la lenteur et à la douceur, la voie qu’ils empruntaient pour se «faire l’amour» atteignait des profondeurs et une sincérité inouïe, quelque chose comme une vérité qui ne m’apparaît pas commune par les temps qui courent; époque d’urgence, de textos, de fantômage, de consommation des corps et des relations, d’extrêmes solitudes vécues dans le célibat comme à l’intérieur même du couple…
Bien que la plupart du temps séparés, vivant chastement (même si je demeure très, très sceptique quant à l’abstinence du frère Marie-Victorin, qui ne devait pas se contenter de regarder les Cubaines à La Havane, voyons, voyons…), ils étaient toujours habités l’un par l’autre, se prouvant – au temps des lettres manuscrites, envoyées et attendues avec impatience – que la force de l’amour va au-delà des apparences et des codes, au-delà de la morale, à condition de rester fidèle à ses propres lois, d’y trouver même un chemin vers le coït, le puisant à travers la faune et la flore, voies impériales d’ancrage et de ressourcement, fondations, même, pour rester du côté de la vie, dans la vie.
Bien sûr, le film comme leurs lettres parle de leur progressisme, de leur volonté de sortir le Québec de l’obscurantisme, sans pour autant tout tasser du revers de la main, juste d’insuffler un éclairage nouveau sur le rapport au désir des femmes notamment, sur les menstruations, les manifestations – très détaillées – du plaisir de la jouissance, la montée progressive, puis l’explosion, célébrée plus qu’honnie. J’aimerais que le pape en prenne bonne note.
Parmi les plus grandes forces du film, notons la direction photo d’André Dufour qui est à couper le souffle et en parfaite harmonie avec la musique de Viviane Audet, Robin-Joël Cool et Alexis Martin que j’écoute en boucle depuis le visionnement.
Ce long-métrage tombe à point pour perpétuer la mémoire d’influents penseurs de chez nous. Il me semble qu’on a la mémoire courte, qu’on oublie les bâtisseurs, ne les relisant que trop rarement alors qu’on n’a tellement rien inventé. Certainement pas le désir, la soif de repenser l’art d’aimer, quitte à bousculer les préceptes du temps. Ça donne envie de recevoir des lettres, d’en envoyer, de s’attarder avec délectation aux affaires du corps et de la nature en se rappelant leurs fragilités. On est bien peu de choses au fond.