Deux essais pour éclairer la fin de l’hiver
Si le silence est d’or, qu’il faudrait parfois apprendre à l’apprivoiser, voire à le mettre à l’avant-plan pour combattre une dictature d’opinions accentuée par l’essor de toutes les plateformes, parfois, il ne suffirait que de quelques voix plus justes et ô combien essentielles à mettre en lumière pour changer, on peut l’espérer, le cours des choses. Voici deux essais qui marquent le début d’une prise de conscience collective et qui permettraient peut-être, ce printemps, d’entendre le gazouillis, le vrai celui-là, de quelque chose comme un chant d’oiseaux.
La grâce du silence dans une tempête de bruits
Chroniqueur et animateur sur ICI Première, Stéphane Garneau porte en lui une certaine sagesse, ou, du moins, une expérience de vie passée en grande partie à lire et s’informer. Beaucoup en ligne, comme la plupart d’entre nous. Suffisamment pour sa part, peut-être avec un supplément de lucidité et de sensibilité, pour percevoir à quel point l’époque ne lésine pas côté surabondance de nouvelles et d’opinions fusant de toutes parts.
L’univers multiplateforme qui s’offre à tous n’a jamais permis à autant de gens de s’exprimer en même temps, d’être pour ou contre, à droite ou à gauche, en haut ou en bas, sur la coche ou pas du tout. Qu’à cela ne tienne, pourvu qu’il y ait l’expression d’une opinion. Et tant pis pour celles et ceux que ça pourrait blesser, pour autant que ça puisse être vu et entendu enfin… «Alléluia, la lumière sur moi, enfin!», pensent quelques internautes.
Hélas, l’art de faire des nuances, de soupeser ou de penser semble, dans trop de cas, avoir été relégué aux oubliettes. Pourquoi ne pas garder le silence, laisser un temps d’arrêt nécessaire à la bonne marche d’une pensée qui aurait tout à gagner à se déployer après de mûres réflexions? Qu’est-ce qui presse tant?
Dans Le choix de se taire, Stéphane Garneau signe en 100 pages et des poussières un essai fort à-propos, documenté, rempli de références utiles et pertinentes pour appuyer ses idées, que j’accueille comme un baume ou un antidote aux effets pervers de la libre expression.
La voix nécessaire de Sofi Oksanen
L’écrivaine finlandaise Sofi Oksanen (Purge, Les vaches de Staline) est reconnue comme l’une des auteures et intellectuelles majeures de la scène littéraire internationale avec, entre autres, des livres traduits dans plus de 50 langues.
Dans cet essai de 300 pages, Oksanen dénonce la misogynie comme outil de pouvoir en Russie; sur le plan intérieur, en empêchant les femmes d’accéder au pouvoir, puis à l’international, comme instrument impérialiste pour continuer de régner. Une misogynie s’exerçant aussi de manière systématique par le Kremlin qui, en ce moment même en Ukraine, s’emploie à éliminer ses ennemis en exerçant des violences sexuelles.
S’il y a un nombre effarant de femmes violées, d’enfants aussi et d’hommes qui ne sont pas épargnés, les propos étoffés de recherches, de résultats d’études et de témoignages d’Oksanen font réaliser à quel point le viol comme arme de guerre sert surtout de méthode génocidaire en empêchant, entre autres, la reproduction d’un peuple anéanti… Des blessures de nature sexuelle et psychique dont ont aussi fait les frais les victimes de guerres et de génocides partout dans le monde depuis des siècles, notamment au Rwanda. Oksanen en fait mention, bien sûr.
Son introduction est particulièrement touchante, donnant un ton personnel à l’essai – une signature généreuse et sincère chez l’écrivaine – lorsqu’elle revient sur le cas de sa grand-tante devenue muette, demeurée célibataire jusqu’à la fin de ses jours après avoir vécu pareils sévices russes en Estonie.
Les exemples et constats sont percutants à en donner la nausée. S’il faut avoir le cœur bien accroché, il me semble aussi nécessaire de savoir et peut-être d’espérer un réveil plus vindicatif et tenace de la communauté internationale.
Deux fois dans le même fleuve – La guerre de Poutine contre les femmes, de Sofi Oksanen, éd. Stock