Déception pour le film La tresse», qui présente une vision erronée de Montréal et du Québec
J'ai rarement été aussi déçue d'un film.
En salle à compter du 19 janvier, La tresse, de Laetitia Colombani, qui signe la réalisation en plus d’en avoir écrit le roman éponyme qui connut un immense succès international dès sa parution en 2017, n’est pas un mauvais opus, entendons-nous. Loin de là. J’ai même été souvent émue, je dois l’avouer, touchée au plus haut point aussi par l’histoire féministe réussie – et la musique du merveilleux Ludovico Einaudi – de ces trois femmes dispersées sur trois continents, mais liées par une même soif de liberté et d’indépendance. Touchée, je l’ai été, jusqu’à la partie montréalaise du film. On aurait pu être fiers que ce film à grand déploiement soit tourné en partie chez nous. Le hic, c’est que ce Montréal exclusivement anglophone que dépeint Colombani n’existe pas. À part, peut-être, dans mes cauchemars…
Si j’habitais ailleurs dans le monde et que je visionnais ce film, je penserais qu’à Montréal, principale ville du Québec, où la langue officielle est le français – je précise pour la réalisatrice, qui semble l’ignorer –, l’ensemble de la population est anglophone. Je ne soupçonnerais pas un seul instant que la majorité est plutôt francophone et que c’est au Québec que l’on retrouve la plus grande concentration de gens dont la langue maternelle est le français dans les Amériques. À la lumière de La tresse, je ne le soupçonnerais tout simplement pas parce que le français n’y figure absolument jamais! Comme une tare qu’on voudrait cacher. Même pas présent sur le moindre panneau «arrêt». Croyez-moi, je les ai surveillés, car le personnage de Sarah est souvent sur la route. Pourtant, plusieurs scènes ont été tournées à Boucherville. Boucherville, oui. Pas Westmount.
Sarah, l’une des trois héroïnes du film, vit donc à Montréal à l’époque présente. Elle ne parle pas un traître mot de français, comme ses trois enfants, qui fréquentent une école anglophone, comme son ex, la femme de son ex, ses collègues de travail au bureau et au palais de justice où la protagoniste, qui est avocate, ne plaide qu’en anglais. Quand elle va à l’hôpital pour ses traitements de chimio, ça se passe encore là dans la langue de Shakespeare.
En faisant complètement fi de la particularité linguistique et culturelle québécoise, La tresse n’est pas crédible, présentant une vision erronée du quotidien de la grande majorité des Québécois, et ce, dans le tiers du film. Aussi, Colombani s’est privée du jeu d’une de nos exceptionnelles actrices d’ici en faisant plutôt jouer Kim Raver, une actrice américaine.
Questionnée à ce sujet sur différentes tribunes, notamment au micro d’Évelyne Charuest à Pénélope sur ICI Première et à celui de Patrick Lagacé, interrogée par Catherine Beauchamp au Québec maintenant, Laetitia Colombani a expliqué que les partenaires financiers voulaient que son histoire se passe en anglais dans au moins un des endroits présentés dans le film. «Ça ne pouvait pas être les parties qui se déroulent en Inde et en Italie. Ne restait plus que le Canada.» Pourquoi ne pas avoir tourné à Toronto alors? Parce que la créatrice française déclare aimer beaucoup trop «Montréal, au Canada», qu’elle estime profondément. Si elle l’aimait tant que ça, elle commencerait par situer Montréal au «Québec». Ça ferait plus précis, plus intime, plus senti… Elle aurait conscience aussi de cette sensibilité qui ne peut plus être ignorée par les Français avec lesquels nous faisons des affaires depuis pas mal d’années désormais.
Oui, ça m’a blessée. Certains me trouveront peut-être enquiquineuse. Or, je ne fais qu’honorer celles et ceux qui ont guerroyé fort pour que je puisse encore aujourd’hui vivre et gagner ma vie en français. Je compte bien continuer de le faire. Mes enfants aussi, je l’espère. Ce serait donc bien que les créateurs qui mettent en scène le Québec d’aujourd’hui dans le monde entier, même en fiction, commencent, ne serait-ce au moins par souci d’authenticité, par nous montrer tels que nous sommes vraiment.