De Lepage à Dolan, le grand art québécois à honorer
Cette fois, je n’ai pas fait ma liste d’épicerie dans ma tête. Mea culpa, parfois, quand j’assiste à une pièce de théâtre, c’est plus fort que moi… Appelez ça un moment d’égarement ou un déficit de l’attention, je m’évade par secousses. Pas longtemps, mais tout de même. Avec Robert Lepage et sa toute dernière création, 887, présentée ces jours-ci au TNM, on reste focus du début jusqu’à l’ovation. Parce qu’il y a toujours ovation. Si vous la voyez cette pièce – ce que je vous souhaite -, vous comprendrez… C’est de la haute voltige. Bien sûr, il y a cette scénographie complètement captivante à l’image d’un micro théâtre, avec des jeux d’échelle et de vidéo, pourvue d’un ingénieux dispositif scénique mobile et qui se transforme en lieux variés comme cet immeuble à logements du 887 Murray, à Québec (d’où le titre de la pièce…), où Lepage a habité dans l’enfance. Juste pour cet exercice, le jeu en vaut la chandelle, l’expérience n’en devient que plus marquante. Puis, bien sûr, il y a l’interprétation juste et sincère de Lepage, qui est allé scruter ses souvenirs familiaux les plus personnels, réalisant ainsi une autofiction sensible qui dépasse le stade de l’intime en jetant un regard sur l’histoire politique et culturelle du Québec avec en filigrane le fameux poème Speak White de Michèle Lalonde que le personnage interprété par Lepage en solo tente d’apprendre par cœur. Bien sûr, la teneur des vers de ce poème en particulier n’est pas anodine dans 887.
Convergence de talents
Pendant que je jubilais, absorbée par les mots du grand Lepage, conteur inégalé, le chorégraphe Édouard Lock donnait à voir The Seasons, présenté par Danse Danse au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, tandis que Encore une fois si vous permettez de Michel Tremblay battait son plein chez Duceppe. C’est le codirecteur et directeur artistique du Festival TransAmériques, Martin Faucher, qui notait sur sa page Facebook cette manne de talents d’ici s’illustrant sur la scène mondiale et présentement au bercail au même moment dans le même périmètre. Oui, il y a de quoi être fiers. Fiers aussi de voir un artiste comme Loui Mauffette, justement attaché de presse/ «cœur» du TNM, qui fait chaque fois exploser la baraque avec son inestimable Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, créée en l’honneur de son père, l’animateur de radio et poète Guy Mauffette, un autre spectacle qui honore la mémoire de ceux qui nous ont précédés, une autre œuvre qui voyage, qui ne va pas là où on pourrait s’attendre, qui dérape, dévergonde, innove, cultive, instruit, amuse, etc. Un trésor culturel accessible qui n’a rien d’inaccessible, de «trop» intello, d’hermétique. Ben non. Je m’en voudrais d’oublier les grandes femmes qui nous en mettent plein la vue elles aussi: Brigitte Poupart, Brigitte Haentjens, Marie Brassard… Et la relève culturelle qui nous fait automatiquement penser à Xavier Dolan qui brille partout. Tiens donc, il serait d’ailleurs le seul de ce groupe d’excellents, celui-là, qu’on inviterait à participer à un quiz télé à heure de grande écoute pour faire monter les cotes d’écoute. Un «A» que s’arrachent les recherchistes. Pourtant, les Lepage, Lock, Faucher, Tremblay, Mauffette, Poupart, Haentjens, Brassard et compagnie en feraient de la bonne télé culturelle passionnante. Encore faudrait-il qu’ils se prêtent au jeu… Mais tout de même, j’aime imaginer le scénario de leur présence dans un talk-show de fin de soirée. Je rêve, je rêve. Mais ciel qu’on ne les entend pas assez sur la place publique! Pendant ce temps, ailleurs dans le monde, on les demande, les encense, les accueille, les espère. On s’en inspire.
Pour savoir où aller comme Québécois, faudrait commencer par savoir d’où nous venons et où nous en sommes, en voyant entre autres ce qui se fait chez nos créateurs, à travers leur regard, leur interprétation du monde, qui est très souvent accessible à tous, je le répète. Oui, s’il me restait une grand-mère lucide, j’aurais pu l’amener voir Lepage et elle aurait aimé, je vous l’assure. La culture peut être populaire même sans blagounes faciles et les réflexions qui vont au-delà des pâquerettes ne demandent pas tant d’efforts de compréhension. Puis, quand bien même qu’il y aurait un effort minimal… Apprendre, réfléchir, c’est grandir un peu plus, c’est s’ébranler, se «challenger», sortir de soi, pleurer, rire aussi. Ça aussi c’est agréable. Non?
Je craque pour…
Palermo Hollywood, le dernier album du français Benjamin Biolay
De quoi faire tomber en amour celles et ceux qui aiment les voix suaves de chambres à coucher, les rythmes langoureux, chauds et enveloppants comme un soleil argentin au zénith. Notez aussi que dans la soul Pas sommeil on peut même entendre un échantillon de la voix du grand poète Jorge Luis Borges, le préféré de notre Dany Laferrière, qu’il cite toujours ici et là.