La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

De grâce, pas ma coupe de vin!

On va me lancer des raisins, j’attends même les tonneaux: malgré la parution du rapport du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances (CCDUS) qui souligne que toute prise d’alcool nuit à la santé, je continuerai de boire quasi quotidiennement mon petit verre de vin rouge. Les samedis soirs, ça risque d’être un peu plus... Je ne crois pas réussir à m’en passer. Ai-je un problème de dépendance? Peut-être. Pour l’instant, je vais gérer d’autres batailles personnelles plus urgentes. Car il se trouve que ces verres adoucissent mes petits combats, me mettent le rose aux joues et me font sourire. Mea fuc… culpa.



Je fais du sport, j’ai coupé le sucre autant que faire se peut, je mange équilibré avec mes portions de fruits, légumes et compagnie, j’ai remplacé le lait de vache par d’autres options, j’ai réduit considérablement ma consommation de viande, je bois mille verres d’eau par jour et un seul café le matin avant de passer au thé vert, je parle à ma psy ou à mes meilleures amies quand la soupape déborde, j’évite de sacrer en présence de mes enfants, je prends des nouvelles de mes parents, j’ai pris la résolution de moins médire, j’ai adopté un vieux chat de refuge, j’évite de conduire ma voiture pour privilégier les transports en commun, quand je le fais, je me sens un peu mal, mais je roule à la vitesse d’une tortue en respectant les règles, je mets de la crème solaire FPS 50 quand je vais au soleil – jamais le midi –, je ne prends plus d’anovulants de peur des risques thromboemboliques, je porte un couvre-visage quand je me sens enrhumée, je me lave les mains comme une névrosée depuis les années 1990, je me suis toujours protégée contre les ITS (Marie-Soleil Tougas nous a tellement dit que «L’amour, ça se protège»), j’achète mes vêtements de seconde main la plupart du temps, ainsi que ceux de mes flos, je prends mes vacances au Québec, je consomme beaucoup localement, même si ça revient parfois plus cher et que par les temps qui courent, c’est plus intense côté budget…

Suis-je assez vertueuse pour pouvoir continuer à boire mon vin? Je l’ai joyeux en plus. Amoureux même. J’ai parfois abusé avant d’avoir mes enfants, mais j’ai réajusté ma consommation, fait un sérieux examen de conscience. Abandonner complètement cette habitude dans la foulée de l’étude? Pas pour l’instant. Je ne dis pas que je ne le ferai jamais, et je respecte, j’admire même celles et ceux qui ont réussi. Ma copine N., qui aimait sa coupe quotidienne et ses exclamations du samedi autant que moi, a dû cesser après avoir développé des ennuis de santé directement liés. Elle y arrive. Je ferais comme elle en pareilles circonstances. Pourquoi attendre l’apparition des ennuis de santé? Parce que pour le moment, dans ma quadragénaire vie active en titi, ce verre quotidien de vin – du québécois la plupart du temps (je gagne-tu des points si je bois local?) – m’aide à aimer la vie, à m’assoupir, me détendre, me faire rigoler et me rendre plus supportable auprès de mes jeunes enfants, le soir, à l’heure des repas-devoirs-bain-lecture-«j’veux pas dormir»-varia.

Le vin du soir, qu’il soit bu en petite ou moyenne quantité, seule ou avec mes proches, fait partie des plaisirs à ma portée qui me transportent au seuil d’une joie. Photo: Marie-Hélène Poitras

Appelez ça béquille, dépendance, risque, nuisance, artifice, médication, danger, poison, pour moi, le vin du soir, qu’il soit bu en petite ou moyenne quantité, seule ou avec mes proches – surtout avec un plat de pâtes –, fait partie des plaisirs à ma portée qui me transportent au seuil d’une joie. Parfois, dans les bouts difficiles, je pense à ma gorgée du 5 à 7, et déjà, juste de l’imaginer, il me semble que je vais mieux. Or, je ne cacherai pas que ce rapport me préoccupe puisque je sens tant le besoin de me justifier depuis le début de ce texte. Comme d’autres commentateurs, journalistes, animateurs partageant mes allégeances et entendus ou lus depuis quelques jours, je cherche et me raccroche pathétiquement à toutes les études qui contredisent ce rapport, me souvenant aussi de telle dame qui a vécu jusqu’à cent ans en buvant quotidiennement son gin. Comme les littéraires sont mes «curés» à moi, j’en ai trouvé quatre brillants dont les mots se retrouvent désormais sur mon tableau noir de cuisine, entre les tâches des enfants et les numéros d’urgence (en cas de surdosage d’alcool, tiens donc, s’cusez-la). Bien sûr, les littéraires, on le sait, sont parfois de sombres et tordus personnages, mais aujourd’hui, on dirait que je bois leurs avinées paroles avec plus d’enthousiasme.

«La coutume a tort de condamner le vin parce que quelques-uns s’en enivrent.»
- Montaigne

«Si le vin disparaissait de la production humaine, il se ferait dans la santé et dans l’intelligence un vide, une absence plus affreuse que tous les excès dont on le rend coupable.»
- Charles Baudelaire

«L’acte physique élémentaire, consistant à ouvrir une bouteille de vin, a apporté davantage de bonheur à l’humanité que tous les gouvernements de l’histoire de la planète.»
- Jim Harrison

«Le vin console les tristes, rajeunit les vieux, inspire les jeunes et soulage les déprimés du poids de leurs soucis.»
- Lord Byron