Dany Laferrière à l’Académie française
«On n'est pas forcément du pays où l'on est né. Il y a des graines que le vent aime semer ailleurs.» C'est Dany Laferrière qui a écrit ces mots dans son roman L'énigme du retour, lui qui a été si semé un peu partout qu'il ne s'est jamais perçu plus comme Haïtien que comme Français, Américain ou Québécois. C'est empreint de cette universalité, se décrivant comme «un écrivain japonais» dans son roman qui porte ce titre, qu'il est devenu le premier Québécois à entrer à l'Académie française, le 28 mai dernier à Paris. Espoir.
Nous pouvons nous ennorgueillir que cet homme de 62 ans qui a passé une bonne partie de sa vie à Montréal occupe désormais le siège #2 de l'Académie, le même sur lequel s'est un jour assis Montesquieu et, plus tard, l'écrivain franco-argentin Hector Bianciotti, à qui il succède sous la Coupole du Quai de Conti. Bien sûr, cette intronisation s'est faite dans la plus pure des traditions, avec tout le chic ostentatoire, le décorum, les habits verts (avouons que ça lui allait bien), la présence du gratin et le patati et la patata que ça implique, ce qui n'a pas manqué d'irriter ceux que ces processions répulsent.
Mais qu'à cela ne tienne, celui qui mangeait des pigeons au Carré Saint-Louis en immigrant à Montréal en 1976 prouve, au même titre que Dolan et Villeneuve à Cannes, que Laliberté dans l'espace, voire que Céline Dion sur la planète, que nos créateurs d'ici, avec leurs parcours respectifs, transportent dans les contrées éloignées la culture d'ici, tissée à même nos valeurs, nos combats et notre Histoire. Pas banal.
Un «vrai» fin
Je connais Laferrière, comme lectrice d'abord, puis, comme journaliste, pour l'avoir interviewé à différents moments depuis une quinzaine d'années. Je peux vous dire qu'il est un des hommes les plus charmants avec lesquels il m'a été donné de faire des entrevues. Un «vrai» fin. Pas de poudre aux yeux, pas de flagornerie, de snobisme ou de vantardise, rien pour briller.
Fallait le voir, il y a deux ans, au Salon international du livre de Québec; assis au sol avec les enfants pour leur parler de ses albums jeunesse alors qu'il avait été sollicité de par et d'autres durant toute la fin de semaine... Ça témoignait d'une véritable envie d'être passeur de culture, d'insuffler à la jeunesse son amour des mots. N'est-ce pas aussi ça le rôle d'un Académicien; de veiller sur la pérennité de la langue française? Laferrière est devenu un «Éternel», et bien tant mieux, ça ne pourra pas nuire à cette langue dont certains prédisent l'éventuelle perte au Québec.
Retenons aussi de cette accession à l'Académie, la vitrine incroyable que notre «écrivain japonais» donne aux livres québécois dans un secteur de la culture qui crie famine, loin d'être perçu aussi lucrative et glamour que le cinéma ou la musique.
David contre Goliath ?
Parlant d’écrivain japonais, je rappelle que depuis le 16 avril 2014, le fameux Je suis un écrivain japonais de Laferrière, comme certains de ses autres romans distribués par Dimedia, faisaient partie des 3 600 livres à ne plus être disponibles dans les librairies Renaud-Bray Or, coup de théâtre, l’affaire s’est enfin réglée à l’amiable quelques jours après que Quebecor eut annoncé, le 19 mai dernier, qu'elle vendait ses magasins Archambault à Renaud-Bray. Assujettie à l'approbation du Bureau de la concurrence, la transaction monumentale soulève plusieurs craintes quant à l’éventuelle menace d’un tel monopole commercial sur les librairies indépendantes pas mal moins solides que le géant du livre et victime des fluctuations du marché. Ce n’est qu’à moyen ou long terme que nous pourrons constater les impacts d’une telle vente. Une fois de plus, les libraires indépendants vont devoir user de stratégies et d’idées novatrices pour garder la tête hors de l’eau. À suivre…
Bibliothèques en mutation
Dans la foulée des chambardements dans le milieu du livre, on apprenait qu'il serait peut-être question de fonder le premier véritable musée national d'histoire naturelle au Québec dans la bâtisse patrimoniale de la Bibliothèque Saint-Sulpice dont la ministre de la Culture Hélène David avait récemment suspendu la vente pour en assurer la pérennité. Les bibliothèques doivent survivre, coûte que coûte, et c'est aussi ce dont il était question, les 28 et 29 mai dernier au Théâtre Outremont lors de la première édition des Rendez-vous des biliothèques publiques du Québec qui en sont à réfléchir au rôle de ces endroits sacrés du savoir à une époque où 1 million d'adultes sont analphabètes au Québec, soit 1 personne majeure sur 5... L'heure est grave.