La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Clémence et Ophélie

Cette semaine, j’ai amené ma fille voir Clémence, un théâtre musical original inspiré de l’œuvre et de la vie de Clémence DesRochers qui amorce une tournée dans plus de 24 villes du Québec. Mon enfant a huit ans, vient à peine de découvrir Charlotte Cardin, Stromae et Ariane Moffatt, devenue son «amie». J’étais sceptique quant à son engouement pour Clémence...



Je dois d’abord avouer qu’en prénommant mon aînée Ophélie, en hommage à Hamlet, de Shakespeare, je me doutais bien qu’il se passerait quelque chose comme de petits étonnements et des tragédies quotidiennes. Rien à voir avec la pandémie ou l’Ukraine, mais des événements qui ponctuent un brin le cours des jours de larmes et de rires, d’enchantements et d’émois. Bref, j’ai enfanté une formidable drama queen. Défense de dire que la pomme n’est pas tombée loin de l’arbre! Soyons plus originaux. Je me disais donc qu’elle réagirait à Clémence, qu’il se passerait quelque chose entre elles. Des êtres de cette intensité, ça se parle, ça s’embrase. Ma mini tragédienne a reconnu en Clémence, née en 1933, 80 ans avant elle, un regard sur le monde qui n’a pas vieilli, une histoire de vérité, d’humour, d’amour et de fragilité qui lui a parlé à elle, gamine de troisième année.

Approuvé par Clémence

Ce qu’ont fait avec ce spectacle les artistes du Théâtre de l’Oeil Ouvert, compagnie de création théâtrale qui revisite ces jours-ci, à sa manière et fort brillamment, l’œuvre de celle qui compte parmi nos premières militantes féministes, est du pur bonbon. D’ailleurs, Clémence elle-même a fourni tout son matériel aux jeunes créateurs: disques, textes, livres. C’est après avoir vu le résultat au sortir du labo de création qu’elle a donné son aval pour la poursuite du projet, tombée sous le charme.

L’essence même de Clémence, empreinte d’une franchise enfantine et de manières frontales – un pari risqué il n’y a pas si longtemps encore pour les femmes –, figure au premier plan sur la scène habitée d’un piano en retrait, d’une chaise d’enfant, d’un sac d’école, d’une robe à pois, d’un parapluie, d’une rose, etc. Au centre, un jardin. Et quel jardin! De cette terre de l’époque de nos mères, grand-mères, arrières-grand-mères poussent la grosse Raymonde, Bertha la ronde, Nicole, Armande, Drienne la moyenne, des crayons de couleur, des notes de musique, des verres de vin blanc... Des femmes qui parlent de celles d’avant et des suivantes. Il n’y a que ça, avec Clémence: un renouvellement naturel, une improbable échéance parce que la délicatesse, l’humour, la simplicité, les messages provocants exprimés avec la ruse et la contorsion de mille renardes sont d’une élégance intemporelle.

Il y a des ressorts dramatiques aussi chez Clémence, qu’enfant, allez savoir pourquoi, je voyais comme un clown triste. C’est ce qui fait que ses textes et chansons rejoignent toutes les générations encore et toujours. Son sens du drame est cousu de paillettes. C’est avec ça qu’elle a pu rejoindre ma dramatique fille, qui s’est reconnue souvent à travers la performance impeccable de l’actrice à la voix d’or Jade Bruneau, qui interprète parfois Clémence, parfois les personnages de ses monologues, sans jamais quitter la comédienne elle-même. Un acteur-narrateur, Simon Fréchette-Daoust, personnifie quant à lui les amis, les collègues, les parents de Clémence avec une grande maîtrise du répertoire. Toujours, un pianiste d’exception, Marc-André Perron, accompagne finement la courte distribution, sans oublier les épatants textes originaux de Laurence Régnier.

Ça prend de telles revisites, les fonds pour le faire, l’espace, les infrastructures, l’ouverture et l’humilité de jeunes créateurs et de compagnies de théâtre pour montrer aux plus jeunes, coûte que coûte, qu’avant elles et eux, d’autres ont défriché, qu’il ne faudrait surtout pas les oublier ou les mettre – un peu – au rancart. C’était, il me semble, ma job de parent d’y traîner ma fille à son corps défendant. C’est sûr, je m’en voudrais d’omettre de mentionner que ce n’était pas super drôle en s’y rendant en voiture, dans les affres du verglas, avec une baboune monumentale sur le siège arrière. Or, or, or, or, or, or, hier, dans cette même voiture, elle voulait écouter «du Clémence quelque chose Rocher». Pour ma part, je n’ai toujours pas le droit de chanter. Ça la «gosse». S’cusez-moi pardon.