La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Bowie, l’amour des Sylvie

David Bowie (1947-2016)

À l’époque où j’admirais la Famille Stanton, dont l’affiche figurait sur le mur rose de ma chambre, ma tante Sylvie, elle, née vers la fin des années 60, avait, collé dans le miroir de sa penderie de jeune femme, le minois d’un certain David Bowie – qu’elle prononçait bien à l’anglaise – étrange personnage androgyne au regard d’acier et au faciès distinctif. J’avoue, elle me faisait un peu peur, cette star qu'a emportée un cancer fulgurant le 11 janvier dernier. Il ne souriait pas de toutes ses dents, ne montrait pas de muscles de séducteur, ou de cuisses bien galbées dans un pantalon de cuir noir, comme un certain Morrison, aperçu sur la pochette d’un vieux disque dans le garage au chalet familial (ça frappe l’imaginaire érotique). Je ne comprenais pas ce que tante Sylvie pouvait bien lui trouver à ce Dééévid Bôôôwie. J’ignorais surtout qu’elle se déhanchait alors allègrement les vendredi soirs sur ses hits dans les discothèques des années 80, qui me parurent plus tard pas mal plus excitantes que celles qui m’accueillaient sur des airs technos; vides de cette sensibilité «déchire-tripes» et ténébreuse typique de ce sur quoi se dévergondaient les membres de la génération X.

Quelques mois après ma première rencontre Bowesque, je reconnus l’artiste à la télé dans le rôle de Jareth, le roi Goblin dans Labyrinthe de Jim Henson, avec pour héroïne ado la splendide Jennifer Connely. Comme son personnage de Sarah, jeune fille passionnée de contes de fées, j’étais fascinée par le roi Goblin/Bowie, qui m’apparaissait si intrigant; mi-ange mi-démon, mi-homme mi-femme. Pour une petite fille de la banlieue qui n’était jamais allée plus loin que son entrée en pavé uni, c’était un choc (je réalise que Boy George m’avait fait aussi fait cet effet dans la petite enfance) de découvrir la possibilité de présenter le féminin et le masculin à la fois, de ne pas faire les beaux yeux à la caméra juste pour racoler ou se vendre, de montrer ce que l’on veut bien montrer de soi, et de la manière qu’on le souhaite, bref d’être authentique en ne faisant qu’à sa tête, hors des conventions.

L’artiste de l’étonnement

Bénie soit donc tante Sylvie, qui était loin de se douter qu’avec la copie qu'elle m'avait faite de sa cassette de Let’s dance, j’allais user mon radiocassette violet en plastique à force d'appuyer ad vitam aeternam sur les touches «rewind» et «play» pour réentendre Without you, et surtout, que j’allais réaliser, en partie, que l’humanité peut être tissée d’extravagance, de mille couleurs, de textures et de manière de l’habiter, qu’au final, ce qu’elle peut afficher de plus beau, c’est sa diversité, et qu’en musique comme en arts, la porte d’accueil se fait là plus grande ouverte qu’ailleurs.

Dire que Bowie a été, à sa manière, un éveilleur de consciences, qu’il aura osé briser des tabous en matière de diversité musicale et humaine, surprendre souvent avec son esprit libre, son look, ses intonations, qu’il s’en est donné à cœur joie dans la recherche de l’excellence, jusqu’à son tout dernier album, Blackstar, paru pour ses 69 ans le 8 janvier dernier, serait-ce charrier? Et quel album… En l’écoutant vendredi dernier, il m’est apparu justement comme son chant du cygne, plus texturé, plus mélo, plus introspectif que ses précédents. Plus complexe et aérien d’une certaine façon, comme si ses idées, sa voix, son esprit s’étaient déjà un peu envolés. Peut-être bien qu’il est allé rejoindre ses amis Goblins.

Je like tellllllllement!

alt="like-moi"Dans un autre registre, saviez-vous ça, vous, que «les filles enjouées qui n’ont pas de chum, c’est des lesbiennes »? C’est ce que nous apprend la jeune femme interprétée par Katherine Levac, qui se rend dans une agence de rencontre pour faire faire son profil de célibataire à la recherche de l’amour. Cette réplique fait partie des savoureuses lignes de Like-moi !, nouvelle série diffusée à Télé-Québec et dont je me suis éprise dès le générique d’ouverture vintage, avec ses animations colorées de fusées, d’arcs-en-ciel et de licornes, appuyées par une musique yéyé. Dans un heureux croisement entre les délicieux Appendices et les Bobos «nouvelle génération», cette série à sketches qui jette un regard absurde sur le mode de vie de la génération Y, ses rapports amoureux, ses communications virtuelles, ses amitiés, son égocentrisme est redoutablement drôle, efficace et sans temps morts, sous la plume de Marc Brunet et de Rafaële Germain, qui prouvent une fois de plus leur grande maîtrise de la scénarisation humoristique et satyrique. J’inscrirais plein d’émoticônes de cœurs et de bouches rouges et je «likerais» très fort, entre autres pour la parodie en noir et blanc d’une émission typique des années 60 sur la vie domestique des épouses modèles: en chacune d’elle sommeillerait une… «cochonne!» Et ce n’est pas la peine de prendre les propos souvent très salés au premier degré, la vie est déjà assez raide de même.

Je craque pour…

alt="au-revoir-la-haut"L’adaptation en bande dessinée par Christian De Metter de Au revoir là-haut de l’écrivain Pierre Lemaître aux éditions Rue De Sèvre. Ce roman qui a valu à Lemaître le prestigieux Goncourt en 2013 donne avec brio un second souffle aux personnages d’Albert et d’Édouard, peut-être même plus efficace dans cette version. Ces survivants de la Grande Guerre ne trouvent plus leurs repères au retour dans la vie normale. Ces tableaux d’un réalisme frappant font vraiment honneur à l’histoire qui a reçu tous les éloges malgré sa grande noirceur et son imparable lucidité. Oh, et la BD n’est pas qu’un genre «à part» pour les initiés…