Biz, magicien de l’ombre
Croisé au dernier Salon du livre de Montréal, il m’avait avertie, avec son ton un peu baveux et rieur à la fois: «Toi, tu vas trouver dur de lire mon prochain roman.» Il avait insisté sur le «TOI». Je lui avais répondu que nenon, j’en avais vu/lu d’autres.
Mais Biz avait raison.
Je me suis écroulée en terminant Naufrage, et ce n’est rien pour mettre du soleil-hop-la-vie dans ce mois de janvier tristounet marqué par des attentats et l’hécatombe chez les célébrités. Désolée. Vous ne pourrez pas dire que je ne vous aurai pas prévenus. Donc, avez-vous le cœur bien accroché?
Alors, voilà. Une fois, c’t’un gars ben ordinaire qui s’appelle Frédérick, 39 ans, qui occupe un boulot qui a l’air tellement aliénant et plate, dans son cubicule de fonctionnaire, qu’on aurait envie de refermer le livre, pris avec un vertige de blues…
Puis, petite soupape (l’auteur est aussi dans la musique, il connaît le rythme pour rebondir…), il y a sa douce Marieke, 41 ans, qui est là quand il rentre au bercail, avec «sa tenue de combat de mère en congé parental: un pantalon de pyjama en flanelle lilas, mon coton ouaté trop grand des Chiefs de Kansas City et des Crocs vert fluo. Sa longue chevelure blonde était retenue en queue de cheval, cimier accentuant son port altier.»
Autre secousse rythmique de douceur rédemptrice, il y a Nestor, leur bébé-miracle, attendu depuis tant d’années, leur source infinie de pur bonheur. Les parents qui liront connaissent la chanson.
Puis, un jour d’été, tout bascule et les ténèbres se referment sur les personnages comme sur le lecteur, quand Frédérick-le-blasé qui n’aime pas son travail (attention, je révèle le point de bascule!) oublie son Nestor dans la voiture à la grosse chaleur... C’est déjà arrivé dans la vraie vie. On en a tous entendu parler d’une telle histoire, or, ici, Biz nous rentre dedans parce qu’on ne voit pas le tragique venir. Connaître cette information avant de lire Naufrage n’enlève rien à l’effet foudroyant de ce revirement et de l’attente créée. Vous aurez mal jusque sous la chair. Je ne me souviens pas qu’un roman m’ait fait cet effet à ce point.
J’ai tenté d’en vouloir à Biz, me demandant jusqu’à quel point cette histoire était pertinente, accessible, précieuse… Hormis un ou deux points moins crédibles, dont une rencontre inopinée chez les danseuses et une facette – pas déplaisante pour autant – de la personnalité du protagoniste, la narration et les dialogues sont criants de vérité et de réalisme. On y croit. Trop peut-être même. Puis, l’écriture brillante, érudite sans être prétentieuse de Biz séduit encore une fois dans ce quatrième roman. On s’emballe, on grince des dents, on regarde les mots, réalisant leur sens en se cachant à demi les yeux d’une main, comme on regarderait un film d’horreur, et, bien sûr, on se projette, on s’imagine à la place des personnages. La femme. L’homme. Les autres. C’est là que ça fesse. Et comme on est trop avancé dans la lecture, on n’abandonne pas sous prétexte que c’est insupportable. Là où ce texte diffère de d’autres, purement sensationnalistes ou basés sur des faits divers, c’est que l’auteur introspectif ne joue pas le jeu de celui qui veut faire un coup d’éclat. Vous lirez Biz comme vous regarderiez un tableau à la Goya ou à la Munch, avec l’obsession de remplir cet espace de réflexion insufflé par l’auteur sur la vie qui, oui, parfois se rompt. Se le rappeler rend magiques les banalités du cours des jours.
Je craque pour…
L’extraordinaire blog BD Tchao Günther de Lily Sohn sur son cancer du sein.
Deux jeunes femmes près de moi qui n’ont pas quarante ans ont reçu un diagnostic de cancer du sein en décembre dernier. Ça m’a remuée et je leur offrirai les petites BD issues de ce blogue écrit par la Française Lily Sohn, à qui on a diagnostiqué un cancer du sein en février 2014. Elle avait 29 ans. Dans ce blogue-exutoire et les deux tomes de ses livres, elle raconte son quotidien avec humour et sensibilité.
* La guerre des tétons, tome 1, Invasion, de Lili Sohn, éd. Parfum d’encre
* La guerre des tétons, tome 2, Extermination, de Lili Sohn, éd. Michel Lafon