Bas les masques
Stéphane Bourgoin, sommité en matière de faits divers, de tueurs en série et de criminologie vient de passer aux aveux. Il a inventé.
Son nom apparaissait sur la couverture de plus d’une trentaine de livres, il fascinait des écrivains de polars et de romans noirs comme Patrick Senécal et Chrystine Brouillet, je rêvais de faire une entrevue avec lui pour avoir lu quelques-uns de ses titres passionnants, il brillait sur les plateaux de télé en France et parfois même au Québec quand il était de passage. Stéphane Bourgoin, sommité en matière de faits divers, de tueurs en série et de criminologie vient de passer aux aveux. Il a inventé. Il nous a menés en bateau pendant des décennies en nous faisant avaler avoir rencontré des tonnes de tueurs en série, dont Charles Manson, avoir étudié au FBI, collaboré même avec le célébrissime Federal Bureau of Investigation. Baratin. Sa femme américaine? Ah… Ça aussi, c’est faux, elle n’a pas été assassinée. Elle n’aurait même jamais existé.
Contrairement à Jean-Claude Romand, l’antihéros de L’Adversaire – épatant roman d’Emmanuel Carrère –, qui assassina toute sa famille après s’être inventé une vie de médecin alors qu’il passait plutôt ses journées avec sa mallette de docteur et son sarrau blanc dans un stationnement municipal, pour se libérer de ses chaînes, Bourgoin, 67 ans, a tout avoué. Selon à peu près tous les journaux et tabloïds français parus ces jours-ci, c’est 4e Œil Corporation, une chaîne YouTube tenue par des mordus d’affaires criminelles, qui a révélé le pot aux roses en diffusant en janvier une série de vidéos montrant toutes les incohérences dans les propos de Bourgoin. Acculé au pied du mur, le 10 mai dernier, il a finalement avoué ses mensonges à Sandrine Briclot, journaliste au Parisien.
«Je m’excuse profondément, sincèrement, j’ai honte de ce que j’ai fait. En plus, c’est absolument ridicule», a-t-il commenté.
Bourgoin au Québec
Si la nouvelle fait jaser dans une France déconfinée, ici aussi, c’est un peu la consternation. «Je l’ai rencontré deux ou trois fois, j’ai pris un verre avec lui, il était très sympathique, très drôle… Ça m’ébranle beaucoup. La dernière fois que je l’ai vu, j’ai acheté son gros bouquin Serial Killers et je me demande si je devrais le lire ou non», a commenté l’écrivain Patrick Senécal sur ma page Facebook, alors que j’avouais ma déception en apprenant la nouvelle par la plume du parolier de Beau Dommage et rédacteur en chef de Croc, Pierre Huet.
Fin conteur, ce dernier m’a d’ailleurs gentiment permis de partager son anecdote savoureuse au sujet de sa rencontre avec le personnage: «Il y a des années, je travaillais avec Patrice L’Écuyer sur une de ses émissions. Nous avions alors reçu Stéphane Bourgoin. Il nous avait passionnés avec le récit de ses nombreuses rencontres avec de redoutables tueurs en série. Quelques jours plus tard, mon amie Chrystine Brouillet nous recevait à souper, Patrice, monsieur Bourgoin et moi, ainsi que François Julien, spécialiste des taches de sang à la Sûreté du Québec, si ma mémoire est bonne. Cette fois, l’homme nous avait glacé le sang – le nôtre – en racontant comment, un jour, il était rentré chez lui à Los Angeles pour découvrir le cadavre de sa propre épouse littéralement découpé en morceaux par un serial killer jamais retrouvé. De quoi vous couper l’appétit; quand on sait comment Chrystine est une cuisinière extraordinaire, c’est bien dommage. Quelques mois plus tard, je revoyais Bourgoin à Paris, à sa librairie spécialisée en polars. Il en avait rajouté en précisant que sa femme avait aussi été décapitée.»
L’animateur et journaliste Patrick Lagacé se souvient lui aussi très bien de sa rencontre avec Bourgoin: «Je l’ai interviewé il y a plusieurs années à Paris pour les Francs-Tireurs… Je me souviens qu’une lumière rouge s’était allumée dans ma tête quand il avait refusé de nommer sa blonde tuée par un tueur en série… Il était convaincant, il connaissait son affaire, il avait publié des livres, etc. Alors, tu te dis que quelqu’un d’autre a forcément fait les vérifications… Ça marche à la confiance, tu te dis que la personne ne peut pas mentir, qu’elle ne peut pas avoir floué tout le monde. Et, c’était avant la vague de déboulonnage des personnalités publiques qui enjolivent leurs états de service… Évidemment, si nous avions été en post-Bugingo, mettons que la lumière rouge aurait flashé plus fort dans ma tête!», confie-t-il.
En effet, l’histoire de celui qui a vendu des dizaines de milliers de livres en passant sur les plus célèbres plateaux de télé d’ici et d’ailleurs n’est pas sans rappeler les affaires récentes des inventions du journaliste François Bugingo ou du cuisinier Giovanni Apollo, voire, en un sens, à Éric Salvail, qui n’était pas celui que pensait une grande majorité de téléspectateurs. Habitués aux feux des projecteurs, ivres de popularité et de succès, d’argent aussi sûrement, tous ont donc dupé nos plus redoutables animateurs québécois auprès desquels certains avaient la chance d’avoir une tribune.
Ces hommes nous prouvent une fois de plus qu’il est facile de mentir, d’en mener large, d’avoir une imparable confiance en soi, du moins en apparence, et de prendre les autres pour des tapons en pensant bon leur balancer le tout au visage, en ajouter une couche au fil des jours.
C’est si facile pour les faussaires que ça en est épeurant. Ça fait son temps, mais quand même. D’autres menteurs sont sûrement morts avec leurs secrets. Qui sera le prochain matou à sortir du sac? Vous savez ce qui me fait le plus capoter dans toutes ces histoires de maîtres baratineurs? Ce n’est pas de me trouver crédule, de me sentir trahie, non, non, non. Ce qui me fait le plus réagir, c’est de savoir pertinemment que pendant ce temps, tant de gens doutent d’eux et de leurs compétences, que des femmes, trop souvent, ne se croient pas assez compétentes ou se jugent trop durement quand elles pensent avoir fait une erreur, restant aussi à l’écart des satanés boys clubs qui leur ferment la porte. Ça me rappelle que la sincérité, l’audace et le courage d’être soi-même – parce que ça en prend dans notre société qui se grise de paillettes et de show de boucane – finissent par payer. J’espère ne pas m’être aveuglée d’arcs-en-ciel. À moins que ce soit le rosé…