Arrête avec tes mensonges: mentir vrai
J’ai souvent parlé de l’écrivain français Philippe Besson ou écrit sur lui. D’abord, parce qu’il pratique l’écriture de l’intime avec une pure splendeur, dans un mélange de simplicité désarmante et de franchise, puis, avec chauvinisme, parce qu’il lui arrive d’insérer Montréal ou le Québec dans ses textes. Oh, et il traite d’amour. Évidemment que j’aime ça. J’attendais l’adaptation cinématographique de son roman encensé Arrête avec tes mensonges, paru en 2017. Le travail du réalisateur Olivier Peyon – à voir dans nos salles dès le 5 mai – ne m’a pas déçu.
Ce n’est pas une mince affaire de transposer à l’écran une écriture introspective, des histoires dans lesquelles les affaires se passent plus dans les atmosphères, les regards, les petits gestes que dans des actions. Ça prend des acteurs à la colonne vertébrale solide, une sensibilité assez forte pour que les non-dits deviennent des aventures et transpercent l’écran au point d’aller conquérir la nature amoureuse de chacun des spectateurs, de créer des connivences, des chambres d’écho. Si cette adaptation fonctionne, il faut quand même accepter la proposition auréolée d’un rythme lancinant et les flash-back fréquents essentiels à la compréhension de l’histoire à cheval entre deux époques: les années 1980 et maintenant.
Dans cette histoire, il y a le romancier Stéphane Belcourt, sorte d’alter ego de Besson, qui a accepté un peu à contrecœur de parrainer le bicentenaire d’une célèbre marque de cognac qui se déroule dans la bourgade où il a passé sa jeunesse. Sa manière d’être distant et froid ne le rend pas sympa d’entrée de jeu, si bien que je me suis demandé s’il n’allait pas m’énerver au point de me faire décrocher. Idem pour cette manière très ordinaire de traiter un des rares, pour ne pas dire le seul personnage féminin «important» ou liant de l’histoire, joué par Gaëlle Flamand, qui est somme toute assez secondaire…
Heureusement, Belcourt ne reste pas sur cette note, habilement incarné d’ailleurs par un Guillaume De Tonquédec capable d’aller jouer dans plusieurs registres et de finalement nous faire apprécier l’écrivain vulnérable, le rendre plus attachant, mettons. On comprend vite qu’il a été très amoureux d’un autre ado dans sa jeunesse, que ça se déroulait sur les lieux qu’il retrouve et que ça a de quoi le chambouler encore. Joué par Julien De Saint Jean, ce Thomas Andrieu l’avait quitté sans explication. Ils avaient 17 ans, mais on ne se remet jamais complètement des blessures du passé. Même en les enrobant de mensonges.
Quand Lucas, le fils de ce dernier, apparaît dans le décor, bien sûr, les souvenirs de cette première et déterminante histoire d’amour affluent: le désir irrépressible, les corps qui s’unissent, une passion qu’il faut taire… Lucas cherche à comprendre, Lucas a aussi des choses à régler en rencontrant ce qui appartient au passé secret de son père.
Pour Lucas Andrieu, on craque. C’est sous les traits de Victor Belmondo qu’il apparaît, d’un charisme foudroyant. Puis, les fils du passé se démêlent sous nos yeux, les pièces du casse-tête s’assemblent pour composer un tableau accrocheur et happant, les émois du passé qui remontent à la surface. Il y a effet miroir. Du moins pour moi, il y a eu. Sans oublier le portrait d’une autre époque dans laquelle les amours homosexuels n’étaient pas ce qu’ils sont devenus en termes d’acceptation sociale. Arrête avec tes mensonges, c’est aussi ça, en filigrane: une fresque sociale.
Puis, la trame narrative culmine, on s’en doute, vers une sorte de libération qu’on accueille avec émotion. Le tout agrémenté d’objets, de couleurs, d’ambiances, de phrases épatantes, de réflexions sur le métier d’écrire aussi, qui m’ont charmée. Si ce n’est pas un film ambitieux ou magistral sur le plan technique, il n’en demeure pas moins qu’il donne un second souffle au grand roman de Besson.