Course à l’alphabétisation: le défi d’Érick Rémy
Les lacunes en littératie ne sont pas des maladies honteuses. Entrevue à cœur ouvert avec Érick Rémy.
Si mes parents ont grandi avec les nouvelles artistiques d’Edward Rémy, cofondateur d’Échos Vedettes qui s’est envolé le dimanche 7 mars, à trois jours de ses 95 ans, moi, c’est de la voix berçante d’Érick Rémy que je me souviens le plus, son fils que je croisais chaque semaine dans des événements quand j’ai commencé ma carrière en journalisme culturel.
Si j’avais été étonnée d’apprendre en 2013 qu’il avait été élu conseiller municipal à Boisbriand, son patelin sur la Rive-Nord de Montréal, je l’ai été encore plus en apprenant récemment qu’à 59 ans, il était retourné sur les bancs d’école à temps complet en 2019. Pas pour terminer un bac ou entamer une maîtrise. C’est son diplôme d’études secondaires que l’ancien Monsieur Showbiz de feu TQS est en voie d’obtenir.
Décrocheur en troisième secondaire à l’âge de 17 ans, c’est l’algèbre qui a eu sa peau d’écolier, ajoutant un défi de plus à ses troubles d’apprentissage liés à sa dyslexie. «Lire à haute voix, ça a toujours été un défi parce que les lignes sautaient. Aussi, je pouvais lire une page au complet, mais je ne pouvais pas dire au final ce que je venais de lire. Je n’absorbais pas la matière», me confie celui dont les aptitudes en littératie, mais surtout en numératie ont été au cœur de ses luttes personnelles et professionnelles. En ondes, ça ne paraissait pas. On s’en doute, ceux qui luttent contre des problèmes d’apprentissage divers développent des trucs de pro pour les camoufler…
Un adulte sur deux au Québec
Érick Rémy est loin d’être seul dans son cas. Selon la Fondation pour l’alphabétisation et le Fonds de solidarité FTQ, qui ont présenté le 24 mars la mise à jour de l’étude «La littératie comme source de croissance économique», en incluant les aînés de 65 ans et plus, on constate que le pourcentage de la population québécoise vivant avec des enjeux de littératie est de 50,7% en 2020. Aussi, un peu plus de 1 million de Québécois de plus de 65 ans n’atteindraient pas le niveau 3 en littératie (sur une échelle de 0 à 5), soit le seuil nécessaire pour comprendre des textes complexes et longs, comportant plusieurs informations (19% se situaient au niveau 1 et 34,3% au niveau 2).
Pour Érick, croiser parmi ses concitoyens le directeur du Centre de formation le Tremplin lors de ses marches quotidiennes – il est dur à manquer dans son manteau jaune fluo – a été déclencheur de ce retour aux études parmi des jeunes dont il pourrait être le père. Impliqué, motivé, sociable et sans gêne, il a gagné leur respect en devenant entre autres président des étudiants. Depuis, à l’école, il s’implique dans tout, anime des événements et a même mis sur pied une campagne d’inclusion. Ça tombe bien, ses propres enfants devenus grands, instruits et inspirants n’ont plus autant besoin de lui. Sans honte aucune, l’homme à qui je parle au téléphone me dit rattraper le parcours échappé à l’adolescence, sûr d’y arriver ce coup-ci, désireux même de poursuivre jusqu’à l’université.
Conseiller municipal, mais aussi journaliste à la pige au magazine La Semaine, il estime ne pas être triste ou amer de ne plus avoir ces tribunes radiophoniques qui le faisaient tant vibrer. Conscient des difficultés de vieillir dans l’ingrat monde des médias – une affaire qui ne concerne pas que les femmes –, je peux imaginer à quel point il a dû trimer dur, traverser des moments confrontants sur plusieurs plans. À la fin abrupte de ses émissions, celui qui a eu son baptême du micro il y a plus de quarante ans en faisant des chroniques littéraires jeunesse à la radio est même allé jusqu’à travailler comme journaliste dans des hebdos de quartier de l’Ouest-de-l’Île, là où habituellement les jeunes commencent. Plutôt que d’y broyer du noir, il y a vu l’opportunité d’apprendre des rudiments de la profession qui lui avaient peut-être échappé en marchant dans les traces du paternel plutôt que dans celles d’un média «officiel». Je n’ai pas pu m’empêcher de souligner son humilité et son courage, la capacité qu’il a eue de regarder dans l’angle mort pour y trouver ses lacunes, les voir comme de petits cadavres dont il est bon de se délester en cours de route. S’alléger n’est pas un luxe.