La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Adoucir le vieillissement: une nécessité actuelle

L’an dernier, un citoyen néerlandais de 69 ans a déposé une demande à l’état civil de son pays afin de faire modifier son année de naissance. Motif: il se sentait l’âme d’un homme de 49 ans… Selon lui, ses vingt années réelles de plus le discriminaient au travail comme en amour. C’est le romancier et philosophe français Pascal Bruckner qui revient avec cette histoire en introduction de son nouvel essai Une brève éternité – Philosophie de la longévité. Chez nous, si tout le monde se mettait à revendiquer quelques années de moins, l’État n’aurait plus le temps de gérer des cotons ouatés…



Qu’à cela ne tienne, presque autant que la crise climatique, le vieillissement de la population mondiale préoccupe de plus en plus, ou le devrait, et l’État devrait en faire plus, entre autres par le biais de mesures gouvernementales visant le troisième âge, branche de la population trop souvent oubliée, voire négligée par la société et les gouvernements.

Pourtant, les chiffres ne démentent pas: depuis 1900, nous avons gagné 30 années d’existence terrestre. Une petite fille sur deux qui naît aujourd’hui sera centenaire et, en 2050, il devrait y avoir à l’échelle du globe deux fois plus de personnes âgées que de bambins.

Toutes ces données rappelées par Bruckner, bien que connues, enveloppent un cadeau, certes, mais un cadeau empoisonné. Soyons réalistes, ce n’est pas donné à tous, loin de là, de vieillir comme Hubert Reeves ou Andrée Lachapelle. On vit plus longtemps, oui, mais plus longtemps en mauvaise santé.

«La médecine est devenue une machine à fabriquer du handicap et de la démence», précisait pour sa part la neurobiologiste Anne-Laure Boch dans Le Débat, en 2013. Désolée de «péter» votre balloune rose, mais pour que l’espérance de vie progresse, il faudrait, on s’en doute, que la lutte contre le cancer et les maladies neurodégénératives suivent le flot, ce qui n’est pas encore le cas, nous rappelle le lucide philosophe, en citant le biologiste Jean-François Bouvet.

Andrée Lachapelle dans le film «Il pleuvait des oiseaux».

Pistolet sur la tempe dès 45 ans

«À partir de 45 ans, nous explique la médecine, l’être humain vit avec un pistolet sur la tempe. Il lui revient de freiner le coup ou d’actionner la gâchette», observe Bruckner, qui en rajoute une couche en soulignant que nous nous faisons «duper» avec ce vieillissement souvent présenté comme une progression merveilleuse. «Ce n’est pas la vie que la science, les techniques ont prolongée, c’est la vieillesse. Le véritable prodige serait de nous maintenir jusqu’aux portes de la mort dans l’état et avec l’apparence d’un adulte de 30 ou 40 ans, frais et dispos, de nous installer à tout jamais dans l’âge de notre choix», suggère Bruckner.

Pas étonnant donc que la médecine esthétique soit devenue une industrie aussi lucrative, que les gens prennent de plus en plus soin de leur corps en adoptant des modes de vie plus sains que jamais. S’il n’est pas mauvais, loin de là, de vivre sainement, certains en deviennent toutefois obsédés. Apeurés par l’idée de se voir dégrader, ils multiplient les Ironman, mangent vegan ou bio, cessent de boire de l’alcool, se cachent du soleil, économisent allègrement, passent leur vie à suivre des régimes inimaginables, etc.

Pour l’auteur d’Une brève éternité, «l’humanité se divise entre deux familles, les calfeutrés et les exposés. Le nombre des premiers augmente vertigineusement avec le temps. Pour les autres, l’ambition de se déployer, une fois encore, de parcourir le globe dans tous les sens peut les mener à la désillusion mais aussi à la fulgurance, à l’enthousiasme». Comme on ne sait pas combien de temps il reste au temps, vaut peut-être mieux se donner une chute intense dans un dernier droit comblé de plaisirs divers: manger, boire, vivre. Bref, la famille des exposés me sied bien, personnellement.

Or, plusieurs facteurs ne dépendent pas trop de nous. J’imagine que vieillir fortuné est plus simple que vieillir pauvre, ne serait-ce que pour se soigner décemment, entre autres. Dans un système de santé à deux vitesses, je me doute bien aussi que vieillir accompagné et entouré est plus douillet que de croupir seul en CHSLD.

Je suis sûre aussi, pour le constater autour de moi, que sauf exception, pour un homme, vieillir est plus facile que pour une femme. Des exemples pleuvent à ce sujet. Je ne peux m’empêcher de citer Simone Signoret dans son autobiographie La nostalgie n’est plus ce qu’elle était (1979): «Nous avons le même âge, Montand et moi. S’il a vécu mon vieillissement à ses côtés, moi j’ai vécu son mûrissement à mes côtés. C’est comme ça qu’on dit pour les hommes. Ils mûrissent: les mèches blanches s’appellent "des tempes argentées". Les rides les burinent alors qu’elles enlaidissent les femmes.»

En somme, les vieux bonshommes riches peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Pour les autres, vaut mieux se souhaiter l’imagination pour se créer ce que l’auteur appelle des «enchantements nécessaires». Pas le choix de faire avec le temps qui passe. Il faut donc penser à l’adoucir, ce temps. L’adoucir coûte que coûte. C’est la job du vieillissant, mais aussi de la société et de ses dirigeants, qui devraient tout mettre en œuvre pour que ceux qui vieillissent le fassent dignement.

Je craque pour...

Les Impatients… et leur coffret annuel

Chaque année, à l’automne, et c’est maintenant devenu une tradition, l’organisme Les Impatients, qui vient en aide aux personnes atteintes de problèmes de santé mentale par le biais de l’expression artistique, fait paraître son coffret.

Après des années consacrées à l’amour, cette fois, c’est 140 récits liés aux voyages que nous offrent des Impatients et des personnalités comme France Beaudoin, Serge Bouchard, Hélène Dorion, Marc Séguin, Guylaine Tanguay, Émile Proulx-Cloutier, et plusieurs autres tels que Alain Labonté, chef d’orchestre de Mille mots de voyage, qui est aussi un outil formidable de démystification de la santé mentale.

Tous les profits de la vente de ce livre seront remis à l’organisme pour la poursuite de ses activités. Offert en librairie ou à la boutique des Impatients.