La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Ces «maudits Français» qui savent si bien «perler»

Si j’étais un oiseau, je volerais jusqu’à Paris. Mais ce ne serait pas pour voir comment les Français ont trouvé notre François Legault national au terme de sa première visite officielle là-bas le 23 janvier dernier. Mis à part Yann Moix (!), j’ai un faible pour les Parisiens et les Français en général.



J’aime leur cinéma verbeux et mélancolique, leurs chanteurs avec des voix correctes, mais pourvus de textes qui me tirent une larme, j’aime plusieurs de leurs écrivains et la manière qu’ils ont de les honorer en classe comme au café, j’aime qu’ils sachent être élégants avec naturel, j’aime Faites entrer l’accusé, On n’est pas couché et Dix pour cent. Je les aime sur le Plateau ou chez eux, avec leurs qualités et leurs défauts. J’aime quand ils nous aiment aussi. D’aussi loin que je me souvienne, ils m’ont toujours plu.

Bien sûr, ils sont loin d’être tous pareils, comme l’écrivent si bien les journalistes Julie Barlow et l’estimé collègue Jean-Benoît Nadeau dans leur plus récent essai Ainsi parlent les Français – Codes, tabous et mystères de la conversation à la française qui paraît le 25 janvier aux éditions Robert Laffont. «En effet, les Français ne sont pas des machines faites en usine. Il n’existe pas un seul Français qui se conforme exactement à ce livre. Mais tous ont été soumis à une sorte de formatage. La famille et l’éducation transmettent un système de valeurs presque universel dans le pays, et ce, jusqu’au fin fond de l’outre-mer.»

Une aventure en famille

Pour décrypter les petits mystères de la «jase française», voire «décoder plutôt qu’analyser ce que les Français veulent dire quand ils disent quelque chose – ou quand ils se taisent», peut-on lire dans leur préface, le couple, qui avait déjà vécu quelques années en France, y est donc retourné en marge de ce projet de livre, avec ses jumelles Érika et Nathalie.

C’est dans un F3 meublé du Quartier latin de la Ville Lumière qu’ils ont installé leurs pénates. Ils s’étaient donné l’année scolaire 2013-2014 pour mener leur enquête et en tirer les réflexions à la fois fascinantes, drôles et pertinentes que l’on trouve dans cet ouvrage étoffé de plus de 380 pages qui plaira à quiconque adore voyager chez ces cousins éloignés ou les côtoyer, ce qui veut dire à peu près tout le monde, vu la manière dont nous sommes exposés à leur culture, bouffe, mode, etc.

Pas folle, cette idée qu’ils ont eue, elle tombe d’ailleurs à point alors qu’ils sont plus nombreux que jamais à s’installer dans la Belle Province, ce qui ne risque pas de décroître en pleine pénurie de main-d’œuvre chez nous, conjuguée à la récente participation de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) au Salon du travail et de la mobilité professionnelle, à Paris.

Vaut mieux se comprendre mutuellement donc. D’ailleurs, qui n’a pas déjà été victime d’une incompréhension à leur contact, à cause d’un geste, d’une attitude ou d’une parole exprimée d’un côté comme de l’autre? «Avec 85 millions de visiteurs par an, la France est le pays le plus visité au monde, ce qui donne aux Français 85 millions d’occasions de se heurter aux attentes irréalistes et aux idées préconçues de visiteurs qui ne maîtrisent ni la langue ni les codes», exposent Barlow et Nadeau avant de donner quelques exemples concrets et fort précieux comme l’importance du «Bonjour», reine des expressions pour nouer un contact, ainsi que d’autres du même genre, et qui sont très utiles, comme «Je vous en prie» ou «Au revoir» – ou n’importe quelle des expressions débutant par «bon» comme «Bon appétit», «Bonsoir», «Bon courage», «Bonne journée», qui ne sont pas optionnelles. Gare à ceux qui négligent ces codes…

Personnellement, je préfère encore le «Bonjour» répété à longueur de journée au ridicule «Ça va bien?» qu’on lance toujours par politesse au Québec, sans même attendre la répondre. Qui vous racontera sur un coin de rue qu’il a envie d’en finir avec la vie ou qu’il a un problème de transit intestinal? Je ne vous le souhaite pas…

L’élégance des cousins

Si le «Bonjour» fait partie des nombreuses règles de bienséances qu’on a effectivement tendance à abréger ou à «botcher» ici, les tourtereaux insistent aussi beaucoup sur la manière dont la parole est valorisée dès la plus tendre enfance. «Tous ne seront pas de brillants orateurs, mais tous apprennent à mettre en avant une certaine élégance, ou à tout le moins un peu de lustre, dans leur façon de s’exprimer», précisent-ils.

Ils rappellent aussi que nos cousins cherchent les échanges, les vrais. «Quand les Français vous invitent, ce n’est pas seulement par courtoisie; ils s’attendent à de l’action, à un peu de friction, bref, ils espèrent s’amuser.» Voilà pourquoi c’est rarement plate quand on prend un coup avec eux le samedi soir! Et ils savent «tenir salon»! Si vous leur dites ça, ils risquent de rire, «mais ce qu’ils prennent pour quelque chose de spontané découle d’une série d’usages qui remontent au début du XVIIe siècle», rappelle le couple, qui remonte aux origines de différentes tendances sociales pour expliquer des traditions françaises.

L’importance de la conversation, qu’elle soit calme ou emportée, va de pair avec son contenu, qui doit être étoffé, une affaire valorisée très tôt dans la vie. «Erika a dû apprendre où Charles Martel a défait les Sarrasins (Poitiers) et en quelle année (732). Elle a également appris par cœur quelques dynasties de rois français, en plus de devoir mémoriser un certain nombre de régions, départements et chefs-lieux. Au Québec, ce genre de par cœur formel ne vient pas avant le secondaire, et encore.» Combien de fois me suis-je plainte que, sauf exception, on ne lisait pas les classiques dans nos écoles?

Les rapports entre les sexes, le monde du travail, le pessimisme ambiant, l’«anglolâtrie, et compagnie, font aussi partie des thèmes abordés, nous permettant par ailleurs de voir sous un autre éclairage la crise des gilets jaunes et autres tensions sociales qui mettent en ce moment même la France à feu et à sang. J’ai pour le reste très hâte de faire lire ce livre à quelques amis français, question d’avoir leur avis, et je prie pour qu’un tel ouvrage à notre sujet, et à jour, soit écrit par des journalistes français.

Je craque pour…

Roma d’Alfonso Cuaron 

J’ai enfin vu ce film mexicain en noir et blanc qui est plus grandiose encore que ce à quoi je m’attendais. Avec The Favourite de Yorgos Lanthimos, il domine les nominations (10) en vue de la 91e cérémonie des Oscars du 24 février. Ses longs plans-séquences qui mettent en valeur l’esthétisme chaud des années 1970 ainsi que les silences comme les paroles empreintes d’émotions brutes font de ce chef-d’œuvre une affaire incomparable. Il semble que j’aurais dû le voir en salle. Ma foi, non… J’ai failli mourir en le voyant sur ma télévision, à force de pleurer et de m’emballer. Notons aussi que les courts métrages québécois Fauve du Sherbrookois Jeremy Comte et Marguerite de l’actrice et cinéaste Marianne Farley se retrouvent aussi aux Oscars dans la catégorie «Live Action Short Film» (court métrage en prise de vues réelles).