5 nouveaux livres pour traverser des deuils
Parce que, dans l’adversité, les livres ne nous abandonnent jamais, voici des pages pour s’apaiser un peu, le temps de se refaire, le temps que ça passe.
Requiem pour la jeune amie de Gilles Leroy
J’ai toujours aimé l’écriture de Gilles Leroy, qui me semble d’ailleurs trop peu lu au Québec. Son Alabama Song, lauréat du Goncourt en 2017, qui a fait découvrir l’épatante Zelda Fitzgerald à beaucoup de gens, reste un de mes meilleurs souvenirs de lecture. Avec ce même regard à la fois dur et tendre sur le monde, l’écrivain français revient avec la célébration émouvante de son amie de jeunesse, Agathe, violée et tuée dans un stationnement de Vincennes à l’été 1984. Après le choc, la colère, le deuil, l’écrivain retrace le parcours de la jeune femme, mais surtout de leur amitié, dans une époque désinvolte où l’appel de la mort et la cruauté sordide de l’homme n’étaient pas attendus. Si la reconstruction passe par les mots, ici, son écriture présente aussi le panorama passionnant d’un temps révolu.
Requiem pour la jeune amie de Gilles Leroy, Mercure de France, 219 pages, 36,95$
Celui qui reste – Lettre à une amie disparue de Stéphane Garneau
C’est avec humilité, douceur et subtilité que l’animateur et journaliste Stéphane Garneau s’est lancé dans l’écriture de ces textes qui s’adressent aux personnes disparues et auxquelles il était attaché, par exemple, le frère, l’enfant, le collègue, le père… Sans chercher à dissimuler ses émotions, il démontre avec une lucidité implacable à quel point la mort surgit aussi parfois en grappe, les unes succédant aux autres, à la manière d’une série noire dominée par la grande faucheuse, la patronne sombre à qui, à défaut de la stopper, l’auteur a décidé de répliquer sans concession.
Un café avec Marie de Serge Bouchard
Présence imposante et charismatique auréolée d’un je-ne-sais-quoi de rassurant, c’est peut-être entre autres pour ça que Serge Bouchard est aimé et respecté avec autant de ferveur. Perso, je l’écouterais se raconter et observer le monde pendant des heures, en gardant en fin de compte la forte impression d’avoir grandi au contact de ses mots, de m’être élevée, améliorée aussi. Mon hommage pourrait continuer, mais c’est surtout sur ce livre, recueil de soixante-dix textes brefs, d’abord lus au micro de l’émission radiophonique C’est fou..., que j’aimerais m’attarder ici parce que je suis persuadée que ce livre-hommage à sa Marie, sa compagne trop tôt disparue dont l’histoire d’amour me reste encore en tête, peut apaiser en temps de deuil, offrir de nouvelles perspectives, des munitions pour poursuivre la route autrement.
Un café avec Marie de Serge Bouchard, Boréal, 272 pages, 25,95$
Les derniers jours de la Reine du Nord de Pierre Filion
Bon, j’ai pleuré. J’ai tant pleuré. Si ce n’est surtout pas de cela que vous avez besoin, passez au titre suivant, mais si, au contraire, vous êtes plutôt du genre à gratter la plaie jusqu’à l’os, allez-y. Pour ma part, je m’y suis aventurée par prévention et peut-être dans l’espoir de préparer le terrain pour quand mes êtres chers disparaîtront. On n’est jamais trop prudents au jeu de la mort. Après 33 ans d’amour, la Reine de Bob, qui devenu dévasté, quitte le nid pour ne jamais y revenir. Juste avant le trépas, il y a l’agonie. Celle de Bob surtout. Parce qu’elle, elle est déjà baignée de lumière. Par chance pour nous, la langue autant inventive qu’exploratoire, voire ludique de l’écrivain, qui est aussi éditeur chez Leméac, devient une accroche pour se hisser la tête hors de l’eau. Somptueuse incursion sous-terraine que ce court récit qui rend hommage aux partants comme aux survivants.
Les derniers jours de la Reine du Nord de Pierre Filion, Leméac, 140 pages, 14,95$
L’année du singe de Patti Smith
En 2016, à ses 70 ans, la grande et inclassable Patti Smith, qui n’a jamais eu peur de vieillir avant, a eu une sorte de révélation: «Soixante-dix. Un simple nombre mais qui indique le passage d’un pourcentage significatif du temps alloué dans le sablier.» Le voyage l’appelle, sorte de promesse salvatrice pour refaire le monde encore une fois, revoir son monde aussi. Ce livre comme un récit de voyage de la Californie à l’Arizona, en passant par le Portugal et le Kentucky, regorge de réflexions, de méditations, de souvenirs où se mêlent des personnages marquants, dont le dramaturge Sam Shepard et le producteur de musique Sandy Pearlman qui, au moment de son périple, étaient à la fin de leur vie. La fin de ceux qu’elle aime, l’approche de son propre départ, ainsi que les changements politiques et sociaux des États-Unis qu’elle guette d’un œil inquiet, accompagnent l’atmosphère unique de cet opus aussi fort que ses précédents, peut-être même plus mélancolique que les autres.
L’année du singe de Patti Smith, Gallimard, 192 pages, 29,95$