La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

World Press Photo: prendre le pouls de la planète en 150 images

C’est devenu un rituel, à Montréal, la rentrée s’accompagne d’un retour sur l’actualité de la dernière année avec l’événement World Press Photo, exposition électrochoc qui permet de prendre le pouls de la planète en 150 images. On peut voir l’édition 2018 au Marché Bonsecours jusqu’au 30 septembre, au prix d’une entrée au cinéma.



Avec les médias sociaux, et même les médias traditionnels, qui nous inondent quotidiennement d’images-chocs, j’avais cessé de fréquenter le World Press Photo (WPP). Je trouvais même que cet exercice était une exploitation de toutes les affres du monde.

Il y a quelques semaines, lors d’une balade à vélo, je suis tombé sur une magnifique exposition de photos en noir et blanc sur la rue de la Commune (entre King et Queen). Offerte comme un avant-goût du World Press Photo Montréal, l’exposition montre des enfants-jockeys participant aux courses de Maen Jaran sur l’île de Sumbawa en Indonésie. Ce reportage a valu au photographe belge Alain Schroeder le 1er prix du World Press Photo dans la catégorie Sports. Cette présentation en plein air m’a donné le goût de renouer avec le WPP.

Une exposition de photos en noir et blanc sur la rue de la Commune (entre King et Queen) est offerte comme un avant-goût du World Press Photo Montréal. Photo: Claude Deschênes
Une exposition de photos en noir et blanc sur la rue de la Commune (entre King et Queen) est offerte comme un avant-goût du World Press Photo Montréal. Photo: Claude Deschênes

Cette semaine, je suis donc allé voir l’exposition, présentée dans une grande salle rectangulaire du Marché Bonsecours qui donne sur la rue de la Commune. J’ai commencé ma visite en tournant instinctivement à droite. Quel bon choix! L’entrée en matière s’est faite plus en douceur: photos joyeuses d’un orphelinat pour éléphants, vue spectaculaire d’une nuée d’ibis rouges en Amazonie, rhinocéros endormi pour son déménagement vers un lieu plus sécuritaire pour son espèce menacée, gorfous sauteurs en action sur l’île Marion dans l’océan Indien, guérilleros des FARC qui jouent au soccer avec des militaires colombiens, macaque déguisé en Donald Trump.

Titre : Plus rien de sacré © Jasper Doest
Titre : Plus rien de sacré. © Jasper Doest

Les photojournalistes n’en ont pas que pour les catastrophes. J’en étais presque à me demander si le WPP avait changé ses critères de sélection pour l’attribution de ses prix.

Eh bien, non, les photos d’horreur sont toujours au rendez-vous, elles se trouvent à gauche de l’entrée principale. Et force est d’admettre que 2017 n’a pas été moins violente que les autres. La photo gagnante du 1er prix montre un Vénézuélien transformé en torche vivante lors d’une manifestation contre le président Nicolas Maduro, le genre d’image qu’on voit généralement au cinéma, réalisé avec le concours de cascadeurs. À l’endos de ce cliché-choc, on voit d’autres photos prises par Ronaldo Schemidt qui permettent de mieux comprendre le contexte dans lequel il a capté ses images.

Titre : Crise au Venezuela © Ronaldo Schemidt, Agence France-Presse
Titre : Crise au Venezuela. © Ronaldo Schemidt, Agence France-Presse

L’horreur a pris plusieurs formes au fil des ans. Ce que le WPP nous donnait à voir se passait souvent bien loin de chez nous. Fini ce temps où le drame et la barbarie nous épargnaient. Les photos d’attaques au véhicule bélier rivalisent avec ce qu’on a vu de plus troublant venant d’ailleurs. Celles de la tuerie à l’hôtel Mandalay Bay de Las Vegas aussi.

Photo: Claude Deschênes
Photo: Claude Deschênes

Tellement, que je me suis demandé si les victimes de ces attentats, souvent bien reconnaissables sur les photos, avaient autorisé l’utilisation de leur image. La représentante du World Press Photo, dont le siège social se trouve à Amsterdam, aux Pays-Bas, m’a répondu que c’était la responsabilité des photographes de composer avec ces considérations. Je me demande toujours ce qui l’emporte: le désir du photographe de gagner un prix et d’être reconnu internationalement ou la volonté d’un quidam de ne pas être vu gisant ensanglanté sur le trottoir du pont de Londres ou sur la Strip de Vegas?

Soyons honnête, il y a aussi des documents qui misent davantage sur l’information que sur le spectaculaire. C’est le cas d’une série de photos sur des Africaines qui font fi d’un interdit séculaire de leur société et qui décident d’apprendre à nager! La série Trouver la liberté dans l’eau est d’une grande beauté formelle et porteuse d’espoir. La photojournaliste Anna Boyiazis a mis des mois à convaincre ces femmes d’être photographiées.

Titre : Liberté retrouvée dans l’eau © Anna Boyiazis
Titre : Liberté retrouvée dans l’eau. © Anna Boyiazis

Dans un autre genre, le sujet sur l’aigle à tête blanche est intéressant. On nous raconte que le symbole aviaire national américain, autrefois menacé d’extinction, est de retour. La photo nous le montre s’alimentant dans les poubelles d’un supermarché. J’ai trouvé l’image très forte. Donald Trump dirait sûrement que c’est une autre fake news, la puissance américaine ne se nourrissant pas de déchets.

Photo: Claude Deschênes
Autrefois menacé d’extinction, l'aigle à tête blanche est de retour. Photo: Claude Deschênes

Et que dire du travail de Li Huaifeng, qui a capté en Chine centrale un moment magique dans un yaodong, un type d’habitation troglodyte qui existe depuis 2000 ans! On y voit deux frères et leur chien dans un décor digne des maîtres anciens.

Moment magique dans un yaodong, en Chine. Photo: Claude Deschênes
Moment magique dans un yaodong, en Chine. Photo: Claude Deschênes

La première fois que j’ai couvert le World Press Photo Montréal, c’était il y a 15 ans. L’événement, présenté à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal, avait attiré 15 000 visiteurs. On y exposait 200 images sélectionnées parmi 53 000 clichés soumis par 3 900 photographes.

Aujourd’hui, le concours international de photos reçoit 73 000 images de 4 500 journalistes provenant de 125 pays. Si les temps sont durs pour la presse, la photographie demeure un moyen de communication extrêmement populaire.

La version montréalaise du World Press Photo en témoigne. En complément de programme, on peut voir le travail qu’Alexandre Champagne, connu pour sa contribution aux livres de recettes Trois fois par jour de Marilou, a fait auprès des victimes collatérales de l’attentat de la grande mosquée de Québec. Il y a aussi les photos issues d’un projet mené par l’atelier d’art du centre de jour Dans la rue, où de jeunes sans-abri étaient invités à documenter leur vie et à expérimenter l’art du portrait.

Voilà deux exemples qui démontrent que la photo est aussi un outil favorisant la résilience et l’estime de soi et permettant, parfois, de se réconcilier avec notre monde.