World Press Photo 2022: Claire, 107 ans, vole le show!
Mis KO pendant deux ans par la COVID-19, le World Press Photo revient à la vie pour une 15e édition au Marché Bonsecours de Montréal, jusqu’au 2 octobre. En plus des traditionnelles photos gagnantes du célèbre concours international de photos de presse, l’événement propose Claire, 107 ans, un reportage photographique de Justine Latour sur la centenaire montréalaise Claire Sigouin. Et quant à moi, Claire vole le show.
On le sait, les photos gagnantes du World Press Photo sont rarement des clichés de bonheur. Cette année n’y manque pas. La découverte de sépultures sur le site des pensionnats autochtones (photo gagnante de 2022, de Amber Bracken), le prélude à la guerre en Ukraine, les ravages causés par les feux de forêt sur tous les continents, le soulèvement populaire au Myanmar, les émeutes au Capitole de Washington, l’année 2021 n’a pas manqué d’événements dramatiques.
C’est sans doute pourquoi j’ai tant aimé la section consacrée à la centenaire Claire Sigouin, qui respire le bonheur et l’espoir.
La photographe Justine Latour a rencontré son personnage il y a six ans pour un projet de livre sur les centenaires du Québec. Vivre cent ans, écrit en collaboration avec Marie Noëlle Blais, a été publié aux Éditions Marchand de feuille en 2017, mais Justine continue de voir régulièrement cette femme à laquelle elle s’est attachée.
«On a une amitié un peu étrange parce qu’on a 70 ans de différence, mais c’est sincère et on a du plaisir à être ensemble. Depuis la publication du livre, j’ai eu un bébé, et mon Arthur s’entend très bien avec Claire. Je profite de toutes les occasions pour la photographier. Je sais qu’elle aime ça. Elle est bonne joueuse, tout en cultivant son jardin secret. Il y a des clichés pris lors de son 107e anniversaire en mai dernier dans l’exposition et je compte en inclure une que je ferai au moment de son apparition au vernissage.»
À travers le parcours qu’on nous propose, on apprend que Claire est née à Montréal en 1915, qu’elle a survécu à la grippe espagnole, qu’elle a été célibataire toute sa vie, et qu’elle habite toujours la maison familiale à Bois-des-Filion.
Évidemment, j’ai demandé à Justine comment elle expliquait la longévité de sa vieille amie.
«Claire regarde devant. Elle ne se fait pas de mouron avec le passé. Elle n’a jamais eu d’enfant, probablement que cela lui a évité du stress, ça, c’est la jeune maman en moi qui parle. Elle est bien entourée. Sa sœur avec qui elle a vécu toute sa vie est morte, mais il lui reste beaucoup de connaissances. Le jour de son anniversaire, son téléphone ne dérougissait pas. C’est pourquoi je l’ai photographiée avec son combiné en main.»
Et sa recette magique, quelle est-elle?
«Elle s’administre quotidiennement le jus d’un citron pressé, avec une cuillère d’huile d’olive, et une larme de brandy pour tuer les microbes et procurer une petite chaleur.»
Le projet de présenter les photos de Claire Sigouin en public a dû attendre la fin de la pandémie pour se faire. Heureusement, la centenaire, réputée pour être têtue, l’a traversée indemne. Avec un seul vaccin, paraît-il.
Pour Justine Latour, cette exposition prend son sens parce que son sujet est toujours vivant.
«Elle est la preuve que ce que je montre, c’est vrai. Ce n’est pas une histoire du passé. Et ça me réjouit, car ce qu’elle donne à voir est pétillant. C’est une vieille personne, mais dans toute son autonomie. Ce qui veut dire que c’est possible.»
Les photos sont exposées au deuxième étage de la salle d’exposition. Il y a un bon escalier à gravir pour atteindre les cimaises, mais il ne faut pas s’empêcher de se rendre au Marché Bonsecours pour ça, conclut Justine Latour.
«C’est sûr que si on reste en bas en se disant je suis trop vieux pour monter, ça va à l’encontre de la philosophie de Claire, qui se convainc toujours d’aller de l’avant. Elle est un formidable exemple.»
Et le World Press Photo?
Revenons à l’exposition principale. World Press Photo m’a déçu cette année. Pour la première fois, l’organisation a tenu des jurys régionaux pour choisir ses gagnants. Le monde a été divisé en six zones géographiques pour assurer une meilleure représentation du monde.
On se trouve donc à avoir moins de clichés-chocs d’événements, et davantage de reportages photographiques sur des thèmes choisis comme la déforestation au Brésil, la menace d’extinction des tigres du Bengale, les conséquences de la culture du pavot au Mexique.
Les cartels sont très détaillés et informatifs, mais les photos sont plus documentaires, ce qui fait qu’on est moins secoué qu’on l’a déjà été en parcourant le WPP.
J’ai eu un gros doute quant au choix du jury de la zone Amérique du Nord pour illustrer l’émeute du 6 Janvier au Capitole de Washington, qui demeure l’événement le plus marquant de l’année 2021 aux États-Unis. Les photos primées, en noir et blanc, ne rendent pas vraiment la fureur de cette journée historique.
La présentation des photos gagnantes des 15 dernières éditions me donne un peu raison. Le contraste entre ce que donnent à voir la présente édition et le meilleur de celles qui l’ont précédée est frappant.
L’événement World Press Photo inclut aussi une exposition de photos de l’artiste multidisciplinaire d’origine algonquine et française, Caroline Monnet. Le projet de cette artiste qui fait sensation présentement en arts visuels et en cinéma s’intitule Ikwewak et met en scène six femmes des Premières Nations dont la cinéaste Alanis Obomsawin.
Radio-Canada, partenaire officiel de l’événement, propose pour sa part une réflexion sur les dessous de la désinformation menée par l’équipe de l’émission Décrypteurs animée par Alexis De Lancer.