Whitney Houston, l’envers du conte de fées
Six ans après sa mort, Whitney Houston fait un retour posthume au cinéma. Elle est le sujet du percutant documentaire Whitney, qui prend l’affiche cette semaine. Comme de son vivant, la chanteuse ne nous laisse pas indifférents. L’histoire de l’interprète de la chanson I Will Always Love You du film The Bodyguard, titre le plus vendu au monde par une chanteuse, tient à la fois du conte de fées et du cauchemar. La manière dont le réalisateur Kevin MacDonald nous la raconte risque bien de vous tétaniser.
Le 9 août prochain, Whitney Houston aurait eu 55 ans. Qui aurait dit à ses débuts, même enfant, qu’elle n’atteindrait jamais cet âge? Son destin semblait si radieux.
Une chanteuse promise à un grand avenir
Whitney Houston est une enfant de la balle. Elle est la fille de Cissy Houston, choriste d’Elvis Presley et d’Aretha Franklin qui a aussi eu sa carrière solo. Convaincue que sa fille avait reçu un don de Dieu pour le chant, Cissy forme sa fille à la dure pour qu’elle sache chanter de la tête, de la poitrine et du cœur, et elle pousse son enfant sous les feux de la rampe. Dès la sortie de son premier disque en 1985, Whitney Houston entre dans la légende. Elle se trouve en première position du Billboard américain sept fois consécutives, un exploit jamais égalé.
Mais le film ne s’intéresse pas tant à l’ascension de la superstar et aux chansons qui l’ont rendue populaire à travers la planète. Non, il s’attarde davantage aux cailloux qui enrayent l’engrenage de la machine créée pour soutenir ce talent brut.
Des témoignages sidérants
L’entourage de Whitney Houston est constitué de membres de sa famille et d’amis. Le clan, tissé plutôt serré, n’empêchera pas la carrière de sa protégée de dérailler, au contraire. Ses frères, qui ont le mandat de veiller sur elle, l’initient à la drogue. Son père, qui gère ses affaires, la vole. La présence dans sa garde rapprochée d’une amie d’enfance soulève des rumeurs de lesbianisme en contradiction avec l’image qu’elle veut projeter. Lorsqu’elle marie Bobby Brown, celui-ci prend ombrage de sa gloire et torpille l’image de sa vedette de femme à coup de frasques débilitantes. La relation avec sa fille Bobbi Kristina se révèle catastrophique.
Ce qui est sidérant, c’est que les témoignages qui accréditent tous ces ratés viennent souvent des principaux concernés. Ses frères parlent sans faux-fuyants. Son ex-mari se met à table, sauf, disons-le, quand il est question de drogue. Même Cissy, la mère de Whitney, se livre, un peu. Et il y a surtout une flopée de collaborateurs (agente, garde du corps, maquilleuse, adjointe) qui répondent volontiers aux questions directes et pointues du documentariste. Résultat, on peut parler d’une biographie autorisée, mais jamais complaisante.
Au trois quarts du film, pour expliquer la dérive de cette artiste chouchoute du grand public, on déterre un secret bien enfoui. Jeune, Whitney Houston aurait été agressée sexuellement par sa cousine Dee Dee Warwick, la sœur de Dionne Warwick. C’est une proche collaboratrice, celle qui l’a trouvée inerte dans son bain le 11 février 2012, qui le raconte.
Des images en appui
C’est généralement difficile d’avoir les archives nécessaires pour illustrer le côté sombre du show-business. Mais Kevin MacDonald a pu compter sur des images de la vie privée de la chanteuse prises par l’entourage. Le visuel concorde et la plupart du temps, ça corrobore les propos de ceux qui témoignent.
Le réalisateur a aussi épluché les archives des grands médias pour nous la montrer à sa première apparition à la télévision, en spectacle devant ses fans extatiques, au Super Bowl, donnant une dimension cathartique à l’hymne national américain en pleine guerre du Golfe, en Afrique du Sud, où elle est la première artiste d’importance à se produire après l’élection de Nelson Mandela. Il y a aussi des extraits d’entrevues où elle apparaît ingénue à ses débuts, sûre d’elle et enjouée au sommet de sa gloire et traquée lorsqu’il faut confronter les questions sur sa consommation de drogue.
Le film est également ponctué de séquences regroupant des scènes d’actualité qui nous permettent de situer le phénomène Whitney Houston dans le temps. Reagan, Clinton, le sida, la guerre du Golfe, la fin de l’apartheid, la naissance de MTV, les soubresauts de l’histoire ont été nombreux durant son règne. N’empêche, des gens avaient du temps pour dénoncer le fait que «Whitney» Houston n’avait pas un répertoire assez black ou faire condamner un voisin parce qu’il faisait jouer trop souvent la chanson I Will Always Love You. Faut croire que chaque époque a ses lubies!
Un film percutant
Whitney est un film qui laisse pantois et va sans doute heurter certains admirateurs de la chanteuse. Contrairement au documentaire sur Grace Jones dont je vous ai parlé récemment, celui-ci nous accompagne en suivant un parcours chronologique qui a tout de la descente aux enfers. Il répond aux questions qu’on se pose, n’épargnant jamais l’aura dorée d’une artiste qui semblait avoir tout pour elle.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à Céline Dion pendant la projection. On peut dire que notre Céline a repris le flambeau de son idole. The Voice, ainsi qu’on surnommait la diva noire, c’est Céline maintenant. Comment la nouvelle idole planétaire compose-t-elle avec les démons qui viennent avec ce statut? En attendant le film sur la diva québécoise, il faut aller voir celui sur Whitney. Qu’on aime la chanteuse ou non, d’ailleurs. Il n’y a pas si souvent d’occasion aussi réussie de voir à quoi ressemble l’envers des contes de fées inventés par le show-business.