Voyage, voyage!
Une chronique sur le thème du voyage. En cette matière, on peut dire que la pandémie nous a à tous beaucoup coupé les ailes. Depuis 2020, combien de nos projets de voyage ont foiré? Et après tant de temps sans prendre le large, pas évident de refaire les valises et se relancer sur les routes de pays lointains. Qu’à cela ne tienne, après six années sans traverser le Grand Bleu, ma blonde et moi avons mis toutes les chances de notre bord et on s’est embarqués sur un vol direct vers Paris, une ville qu’on connaît bien. Et comme disait Clémence dans son monologue Le beau voyage, «on a fait un bien beau voyage, franchement Armand!». Permettez-moi de revivre ce périple avec vous.
Que de choses ont changé en six ans dans la Ville Lumière! Le vélo, la petite reine, comme on dit, est roi. La rue de Rivoli est devenue la Rivélo! Les garçons de café bourrus ont laissé leurs places à des jeunes filles qui font le service en souriant. Il y a désormais des menus végétariens sur l’ardoise. Mais ça fume toujours autant en terrasse!
Les kiosques à journaux ont généralement disparu et les cinémas m’ont semblé moins triomphants que jadis, alors que les musées, l’art public et l’architecture vivent une sorte d’âge d’or. Aussi, l’action ne se concentre plus seulement dans Saint-Germain, sur les Champs-Élysées ou les Grands Boulevards, il faut souvent prendre le métro, le RER ou même le TER pour voir des lieux nouveaux et surprenants.
Le Hangar Y
Avant de partir, j’avais mis au top de ma liste des endroits à voir une nouvelle attraction située dans la proche banlieue parisienne, le Hangar Y, à Meudon. Nouvelle? Le mot est faible, l’endroit a ouvert ses portes le 21 mars dernier!
Que d’atouts pour m’attirer: on parle ici d’un hangar construit pour l’Exposition universelle de Paris en 1878, ensuite démantelé et reconstruit à Meudon pour y devenir le cœur de l’aérostation française, cette technique, nouvelle à l’époque, qui consistait à faire voler des ballons avec de l’air chaud. C’est d’ailleurs du Hangar Y que partira le premier vol mondial d’un dirigeable en circuit fermé.
Le lieu, patrimonial, a été complètement restauré par des intérêts privés qui lui ont donné une nouvelle vocation, à la fois culturelle, scientifique – le Hangar est voisin d’une importante antenne du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – et touristique. C’était la condition pour obtenir un bail emphytéotique.
Le Hangar Y propose aux visiteurs une exposition thématique et une expérience en réalité mixte à l’intérieur, de l’art public dans ses jardins, un grand restaurant avec terrasse sur le bord du lac artificiel, des espaces pour pique-niquer et des aires de jeux pour les enfants.
La première exposition, à l’affiche jusqu’au 10 septembre, a été conçue autour du thème du rêve de voler. C’est fabuleux de voir la variété des propositions. Pour Rachel Labastie, ce sera une paire d’ailes en grès, pour Doug Aitken, un avion-nuage, alors que Laure Prouvost imagine un avion-théière qui évoque le souvenir de sa grand-mère.
Au milieu de cet immense hangar, deux œuvres spectaculaires sont accrochées: le zeppelin Hindenburg de l’artiste coréen Lee Bul, fait de nylon, polyester et feuille d’aluminium, et le très réaliste aéronef qui pique du nez du Suisse Roman Signer.
À l’extérieur, c’est un parcours très hétéroclite qu’on nous propose. Les œuvres exposées ont été choisies pour éveiller les sens.
On ne peut pas rester insensible à Jalsa, la cabane en fer de Subodh Gupta. L’artiste indien l’a conçue à partir de milliers de casseroles typiques de la cuisine indienne.
Les pigeons armés de l’Algérien d’origine Adel Abdessemed ne laissent pas indifférent non plus.
Le jeune public n’a pas été oublié. Le Hangar Y a beau être un vestige du passé, il est aussi très de son époque. On y propose une activité en réalité virtuelle qui permet de faire un saut dans le passé avec la technologie d’aujourd’hui. L’expérience, d’une durée de 30 minutes, fait le bonheur des jeunes et des moins jeunes. Avec mon casque de réalité virtuelle et mes manettes, j’ai eu la satisfaction de contribuer au lâcher du dirigeable La France pour son vol inaugural du 9 août 1884!
Selon Aurélie Baron, directrice des projets artistiques, qui m’a fait faire la visite, le Hangar est la future attraction de Paris. En tout cas, quand la capitale française sera envahie de touristes lors des Jeux olympiques l’an prochain, ce sera certainement une destination bienvenue pour éviter la cohue.
On y accède par le RER à partir de la station Saint-Michel dans le quartier Saint-Germain, et le bus 169 à partir de la gare de Meudon Val Fleury.
Le Musée Picasso
Je disais plus haut que les musées ont la cote présentement en France. Le pays en comptait 1 216 en 2022. Plusieurs nouveaux musées s’ajoutent chaque année, sans compter ceux qui rouvrent leurs portes après d’importants travaux de mise à niveau.
Je n’avais pas mis les pieds au Musée Picasso depuis sa réouverture en 2014, après cinq ans de travaux. Il mérite amplement la visite, particulièrement cet été, alors qu’on présente une exposition fabuleuse des œuvres du père du cubisme, mise en scène par le designer sir Paul Smith.
Le maître du prêt-à-porter britannique a réussi à me faire apprécier Picasso. Il faut dire qu’il avait le choix, la collection du Musée Picasso compte 5000 œuvres de cet artiste qui a touché à toutes les formes d’art visuel. Chaque période a sa salle, décorée dans le style ou les couleurs du moment. Il y a la salle avec des rayures, celle en bleue, ou cette autre, rouge sang de bœuf, pour l’époque des taureaux.
À chaque étage, on est ébahi, particulièrement lorsque les charpentes des combles de l’ancien hôtel Salé de la rue de Thorigny font écho à cette période où Picasso s’est intéressé à l’art africain.
L’exposition Célébration Picasso, la collection prend des couleurs est accrochée jusqu’au 23 août.
Le Musée Picasso présente concurremment une solide présentation du travail de l’Américaine Faith Ringgold, une découverte pour moi. Cette artiste noire, aujourd’hui âgée de 92 ans, illustre dans ses toiles la réalité des gens de sa race et c’est saisissant. Il y a une telle actualité dans son discours.
La Villette
Parmi les incontournables de mon voyage, il y avait la Villette. Il y a longtemps que je voulais voir ce grand parc où on a regroupé entre autres la Cité des sciences et sa fameuse géode, le Hall de la chanson, la Grande Halle, pour les expositions de prestige (présentement Ramsès et l’or des pharaons), le Zénith, et depuis 2015, la Philarmonie de Paris, l’équivalent parisien de la Maison symphonique de Montréal.
Le bâtiment, imaginé par l’architecte Jean Nouvel, n’est rien de moins qu’hallucinant. Ce qui nous apparaît comme une masse en noir et blanc témoigne, de près, d’une imagination totalement débridée. Le revêtement de l’édifice est constitué de pièces d’aluminium découpées, aux formes qui rappellent les oies de Riopelle. L’ouvrage est monumental, le travail pour atteindre ce résultat a nécessairement été colossal et le budget, abyssal. L’État y a engouffré 400 millions d’euros, le double du montant prévu.
Alors qu’on pense qu’on devra se contenter de l’admirer de l’extérieur, on réalise qu’il y a possibilité d’aller gratuitement sur son toit. Un observatoire a été aménagé, avec vue sur le parc verdoyant de la Villette et le périphérique voisin. À plus de 50 mètres dans les airs, on voit au loin les symboles de Paris que sont le Sacré-Cœur, la tour Eiffel, la Défense.
Pensiez-vous que Jean Nouvel vous laisserait repartir en prenant bêtement l’ascenseur vers le plancher des vaches? Alors, détrompez-vous. On redescend, jusqu’en bas, par un sentier construit à même les parois du bâtiment, aménagé comme les terrasses d’une montagne.
Cette œuvre architecturale est comme une symphonie; j’écris ça, et je n’ai même pas encore entendu une note de musique retentir dans la salle Pierre Boulez. Ça, ce sera pour une prochaine visite!
Les Buttes-Chaumont
À Paris, on se surprend toujours du peu de verdure par rapport à chez nous. Il y a quand même nombre de parcs qui offrent ombre et calme aux citadins. C’est le cas des Buttes-Chaumont, voisines de la Villette, et cinquième espace vert de Paris.
Nous avons déambulé dans ses allées verdoyantes et étonnamment accidentées. Cette ancienne carrière de gypse, transformée en parc en 1867, offre aujourd’hui un paisible parcours qui permet de s’exercer les mollets.
Le parc André-Citroën
On a aussi fait la découverte de l’immense parc André-Citroën, sur le bord de la Seine, dans le 15e arrondissement. Cet espace a été aménagé sur les terrains délaissés par le constructeur automobile dans les années 1970. On y a construit des serres sur le modèle des anciennes usines, aménagé différents jardins, et laissé une grande plaine pour admirer les fontaines. Malgré que ce parc municipal n’ait que 30 ans, il est un peu magané. Il aurait besoin d’une mise à niveau.
À voir tous les travaux en cours, on imagine que les budgets publics ont des limites.
Le Grand Palais
Prenez l’exemple du Grand Palais, qui se refait présentement une beauté. Eh bien, en attendant qu'il soit prêt, on a construit, près de la tour Eiffel, un bâtiment éphémère en bois destiné à accueillir des événements publics. La structure surprenante conçue par l'architecte Jean-Michel Wilmotte a été baptisée le Grand Palais éphémère. En 2024, cet espace situé en face de l'École militaire va accueillir des compétitions olympiques.
L’art et les grands magasins
Le privé participe aussi à donner du oumf à la ville, les grands magasins notamment. La Maison Louis Vuitton, rue du Pont-Neuf, fait le bonheur des passants avec une sculpture géante, et tellement ressemblante, de l’artiste japonaise Yayoi Kusama au travail.
À la Samaritaine, tout juste à côté, on ne se contente plus d’avoir une décoration d’origine spectaculaire, on demande à des artistes de faire l’événement. Récemment, Charlie Le Mindu a créé Paris à poils, c’est-à-dire qu’il a signé différents décors capillaires, du poil à la touffe en passant par la perruque, à tous les étages du magasin.
Aux Galeries Lafayette, l’artiste coréenne Kimsooja a été commissionnée pour habiller le dôme de la coupole historique du grand magasin du boulevard Haussmann. Malheureusement, nous avons manqué son installation, To Breathe, qui révèle l’architecture de la coupole par le fractionnement de la lumière. L’horaire des représentations ne fonctionnait pas avec notre emploi du temps. Comme des milliers de touristes, nous nous sommes contentés d’aller voir le dôme de l’extérieur et admirer la vue sur Paris qu’offre l’observatoire sur le toit du bâtiment.
Conflit d’horaire aussi avec la Bourse du Commerce, qui était fermée le dernier jour qu’il nous restait de libre à Paris. Dommage, car je rêvais de pénétrer dans ce lieu entièrement restauré qui abrite, depuis 2021, la collection d’art contemporain de François Pinault. La collection de ce milliardaire octogénaire compte 10 000 œuvres, dont une curieuse statue équestre du sculpteur américain Charles Ray.
Je conclus qu’il faudra retourner à Paris un jour, il y a tant à voir!
Même si mon voyage s’est poursuivi à Bordeaux et Arcachon, je vais m’arrêter ici. Le premier jet de cet article est écrit à bord du vol de retour, et on s’apprête à atterrir.
Y’a pas d’âge pour voyager
En passant, on n’est jamais trop vieux pour voyager. À l’aéroport de Bordeaux, nous avons rencontré celui qui me permet d’avancer cela. Maurice, notre compagnon de patin – je vous avais parlé de lui lorsque le Vieux-Port de Montréal lui avait offert un abonnement à vie à la patinoire pour ses 80 ans –, eh bien, Maurice Grondin revenait lui aussi d’un séjour en France. À 86 ans, il venait de passer deux semaines en solitaire à Lyon et Bordeaux. Emballé par son voyage, ses yeux brillaient en évoquant son prochain départ… au Maroc!
Tiens, une bonne idée, ça!