La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Un cœur nomade: du bonheur dans une rue de Montréal

Depuis la semaine dernière et jusqu’au 1er novembre, les vitrines de la Promenade des artistes accueillent Un cœur nomade, une exposition consacrée à Dany Laferrière à l’occasion de ses 35 ans de carrière d’écrivain. Le fit est parfait et le bonheur est dans la rue.



Un de mes lieux favoris du Quartier des spectacles, c’est la portion du boulevard de Maisonneuve comprise entre Clark et Jeanne-Mance. Les concepteurs du quartier ont eu l’idée d’y aménager un large trottoir et d’installer en bordure des structures qui permettent différents usages, qu’on pense aux 21 Balançoires, ou d’en faire une galerie d’art en plein air. Depuis la semaine dernière et jusqu’au 1er novembre, les vitrines de la Promenade des artistes accueillent Un cœur nomade, une exposition consacrée à Dany Laferrière à l’occasion de ses 35 ans de carrière d’écrivain. Le fit est parfait et le bonheur est dans la rue.

Photo: Claude Deschênes

À partir d’extraits et de dessins des trois derniers livres de l’auteur (Autoportrait de Paris avec chat, Boréal, 2018, Vers d’autres rives, Boréal, 2019 et L’exil vaut le voyage, Boréal, 2020), le commissaire et directeur de création Félix Dagenais a créé un parcours qui nous permet de suivre, en sons et images, les traces de cet Haïtien né à Petit-Goâve, devenu écrivain à Montréal et adoubé membre de l’Académie française à Paris.

Photo: Claude Deschênes

Le pari était de taille. Les trois livres illustrés comptent un total de 840 pages écrites à la main, véritable trésor de réflexions profondes et légères sur la vie, la ville, l’exil, la littérature, comme seul Dany Laferrière est capable d’en écrire. Le résultat est une totale réussite. C’est quand même rare qu’on ait la possibilité de se promener dans la vie d’un écrivain.

Photo: Claude Deschênes

En parcourant les vitrines, on est absorbé par ses souvenirs et ses idées, amusé par ses dessins naïfs qui valent mille mots.

Photo: Claude Deschênes

«Petit-Goâve sentait le café, Port-au-Prince puait la gazoline», raconte Laferrière en illustrant la chose avec sa vision des embouteillages de la capitale haïtienne. Pour montrer le dénuement dans lequel il commence sa vie de Montréalais, il esquisse un lit et une fenêtre de laquelle on aperçoit le mont Royal et sa croix. On le suit aussi à Miami et Paris, où il convoque des auteurs qui l’ont marqué. Avec eux comme compagnon d’exil, Dany Laferrière n’aura jamais été seul.

Photo: Claude Deschênes

J’ai été particulièrement sensible aux planches montréalaises où il nous parle entre autres des vibrantes rues Saint-Denis, Saint-Laurent, Prince-Arthur des années 1980-1990 ou de l’effet thérapeutique du Festival de jazz après un hiver trop long. Ces descriptions courtes et joliment imagées m’ont rendu nostalgique d’une époque aujourd’hui révolue, et pas juste pour cause de pandémie.

Photo: Claude Deschênes

Le Montréalais inquiet pour l’avenir de sa ville que je suis s’est retrouvé un petit peu jaloux de l’ode à la résilience que l’écrivain a écrite pour son autre ville d’adoption: «Il n’y a jamais de fin à Paris», écrit-il par-dessus un dessin du Bataclan coiffé d’un arc-en-ciel. Court et incontestable.

Photo: Claude Deschênes

Au fil de ma visite, je me suis arrêté à des détails: pourquoi y a-t-il tant d’autos dans les dessins de Dany Laferrière? Pourquoi les petits bonhommes qu’il dessine ne sont pas noirs quand il s’agit de lui et sa famille? Voici ce qu’il m’a répondu là-dessus.

Pour les personnages: «C’est le papier qui est blanc, je ne suis quand même pas pour faire des blackfaces. Remarque aussi que je leur fais des cheveux blonds.»

Photo: Claude Deschênes

À la journaliste Chantal Guy de La Presse, il avait aussi dit:

«C’est le signe que le narrateur n’est pas forcément l’auteur. De toute façon, je ne connais aucun blond qui ne soit pas un faux blond. Marilyn Monroe, Madonna… Et moi!»

Pour les autos: «Je viens de la campagne. À Petit-Goâve nous avions des vaches. Les voitures sont les vaches des villes.»

Photo: Claude Deschênes

Dans ses livres, sur les cimaises de cette exposition en plein air ou en entrevue, Dany Laferrière aime se jouer de la rectitude, et c’est pour ça qu’on l’aime tant. Quel membre de l’Académie française aurait résumé ainsi sa pratique:

«Je tape avec un seul doigt. Je ne mange que des fruits quand j’écris un roman. Borges me regarde toujours.»

Photo: Claude Deschênes

Allez, ayez le cœur nomade à votre tour et courez prendre un bain de bonheur dans le Quartier des spectacles. Ça vous fera du bien ainsi qu’au centre-ville de Montréal, qui a bien besoin de visiteurs.

Photo: Claude Deschênes

LU: Robert Blondin. Pluriel de Luc Gonthier aux éditions Somme toute

On parle toujours des mêmes personnes dans les médias. C’est tellement plus facile, pas besoin d’expliquer qui elles sont puisqu’elles sont connues. Moi, j’aime le défi de faire connaître des gens qui sont moins dans la lumière. C’est pourquoi je veux vous entretenir cette semaine de Robert Blondin, qui fait l’objet d’une biographie publiée aux éditions Somme toute. Même si cet homme cumule plus de 60 ans de carrière dans le monde des communications, il n’a pas la notoriété d’un Jacques Languirand ou d’un Joël Le Bigot. Et pourtant!

Ce relatif anonymat n’a pas empêché Luc Gonthier de raconter sa vie, de sa naissance à Magog en 1942 jusqu’à l’écriture des biographies de Gilles Duceppe (Bleu de cœur et de regard, Hurtubise, 2017) et Marcel Sabourin (Tout écartillé, Somme toute, 2018), en passant par ses débuts comme annonceur à New Carlisle en Gaspésie et une carrière de 37 ans à Radio-Canada, essentiellement comme réalisateur.

«Peu importe qui vous êtes, je fais le pari que sa vie vous étonnera…», écrit Luc Gonthier dans son prologue, convaincu du potentiel de son sujet. À preuve, il a titré son livre Pluriel à cause des multiples facettes de ce personnage qui ne cesse en effet de nous étonner au fil des 200 pages du bouquin.

Si vous avez beaucoup écouté la radio de Radio-Canada les soirs de semaine et de fin de semaine, de 1970 à 1990, le nom de Robert Blondin vous est familier. Lecture de chevet, Chers nous autres, La grand’jase, Le voyage, Le bonheur, L’aventure sont autant d’émissions où il a officié.

Les concepts qu’il imagine ont toujours l’heur de bousculer la tradition radio-canadienne, autant dans les sujets traités que dans la manière de les amener en ondes.

En 1978, le réalisateur Blondin sort son duo d’animateurs (Michel Garneau et Armande Saint-Jean) des studios feutrés de la Maison Radio-Canada pour leur faire animer La grand’jase, six heures de radio, en direct du Grand Café, rue Saint-Denis, devant un public pas toujours docile. En 1984, à l’occasion de la Transat-Tag Québec-Saint-Malo, c’est d’un bateau qu’il produit son émission Mer et monde, une première à Radio-Canada. En 1992, il donne la parole aux hommes dans Entr’hommes, concept développé avec le psychanalyste Guy Corneau, une série qui mènera à la création du Réseau Homme Québec, un mouvement par la suite exporté en Europe.

Ses émissions très axées sur la pensée et la réflexion plaisent à la CRPLF (Communauté des radios publiques de langue française), pour qui il fera entre autres Cartier, un opérock pour souligner les 350 ans de Montréal.

Luc Gonthier ne s’intéresse pas qu’aux faits d’armes de l’homme de radio, il aborde ses échecs, recense ses contributions au monde du cinéma (on le retrouve au générique de films de Jacques Godbout, Alain Chartrand, Marcel Simard, et plusieurs autres), et à la littérature (quatre romans, huit essais, deux biographies).

Son portrait évoque aussi Blondin le peintre, le flûtiste, le navigateur, le plongeur, l’éleveur de lapins en Estrie, le fondateur d’une commune à Westmount. On est pluriel, ou on ne l’est pas! Sans complaisance, il traque aussi les forces et les faiblesses de cet excessif en tout, leader naturel qui doute, jaloux qui butine, père paternaliste, épicurien qui vit mal avec son poids.

Si ces quelques bribes ne suffisent pas à vous convaincre que Pluriel mérite d’être lu sur le seul nom de Robert Blondin, sachez aussi que sa vie est traversée de noms connus qui ajoutent à l’intérêt du récit: Juliette Béliveau, avec qui il a partagé la scène, la chanteuse Louise Forestier, qu’il a presque mariée, l’humoriste Pierre Légaré, qui est un fidèle ami depuis le projet Cartier, Boris Cyrulnik, qu’il a contribué à faire connaître des Québécois, et bien sûr l’animatrice Sophie-Andrée Blondin, qui l’a fait grand-père.

Ouais, pas banale, sa vie!