Tinder artistique au Musée des beaux-arts de Montréal: Georgia O’Keeffe rencontre Henry Moore
Le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) emprunte aux méthodes de Tinder, cette populaire application qui favorise les rencontres. Dans une grande exposition à l’affiche jusqu’au 2 juin, il fait se rencontrer deux géants de l’art moderne: la peintre américaine Georgia O’Keeffe et le sculpteur anglais Henry Moore, tous deux morts en 1986. Riche de 120 œuvres, cette rencontre posthume est une révélation. Un match parfait!
C’est toujours surprenant de voir des créateurs, étrangers les uns aux autres, explorer les mêmes thèmes en même temps. Pensons par exemple aux nombreux films québécois qui se sont dernièrement succédé et dont l’histoire tourne autour du décès d’un parent (Le successeur, Les hommes de ma mère, Niagara, Au revoir le bonheur, Merci pour tout, etc.).
Eh bien, c’est le même genre de synchronicité inexplicable que nous révèle l’exposition Georgia O’Keeffe et Henry Moore, géants de l’art moderne. À une époque où le village était beaucoup moins global, alors que la Première Guerre mondiale n’est pas terminée, Georgia O’Keeffe commence à exposer en solo à New York. À peu près au même moment, Henry Moore s’initie à la sculpture à Leeds en Angleterre. Malgré la distance qui les sépare, malgré qu’ils ne se connaissent pas vraiment, ni ne font partie d’un quelconque mouvement artistique commun, ils développent dans leurs oeuvres un univers semblable, et cela pendant toute leur longue carrière.
On imagine la joie d’Anita Feldman, adjointe de la conservation au San Diego Museum of Art, lorsqu’elle a découvert la richesse de ce filon, développé avec la conservatrice Iris Amizlev, du MBAM.C’est ainsi que, pour la première fois, on réunit en même temps, dans un même lieu, le travail de ces deux artistes. L’exposition commissariée par Mme Feldman a d’abord été présentée à San Diego en Californie, et ensuite à Albuquerque au Nouveau-Mexique. Au tour de Montréal de la recevoir.
L’exercice n’est pas forcé, il tient de l’évidence. Au fil des salles qu’on parcourt, on est de plus en plus mystifié par le délicieux rapport qui existe entre leurs œuvres.
Georgia O’Keeffe, comme Henry Moore, aimait ramasser des coquillages, des squelettes d’animaux, des morceaux de bois. Ces formes organiques sont à la base de leur inspiration.
L’une nous montre un paysage, ou un ciel, vu à travers le vide d’un os pelvien, alors que l’autre incite le spectateur à observer ce qui apparaît dans les ouvertures ou les interstices de ses bronzes. Une de ses sculptures s’intitule d’ailleurs Le verrou.
Autre similitude, qu’ils s’intéressent aux fleurs, aux paysages, aux humains ou aux animaux, ils arrivent tous les deux à une simplicité qui ne garde que l’essentiel.
Pour nous faire pénétrer plus avant dans l’univers de Moore et O’Keeffe, on a reconstitué leurs ateliers respectifs avec des objets leur ayant réellement servi.
Lui était installé dans la région rurale du Hertfordshire, au nord de Londres, elle, à Ghost Ranch, au Nouveau-Mexique. La ressemblance entre les deux univers est, là aussi, frappante.
On connaît surtout Henry Moore pour ses bronzes gigantesques (il y en a d’ailleurs deux de la collection du MBAM en permanence devant le pavillon Michal et Renata Hornstein, rue Sherbrooke), mais cette exposition est l’occasion de voir plusieurs formats moins volumineux. Il y a également une extraordinaire pièce taillée dans un orme géant. Malgré sa forme humaine, elle représente un paysage.
Si Georgia O’Keeffe est surtout reconnue comme peintre, son bronze laqué blanc inspiré d’une corne de bélier témoigne de sa grande maîtrise de la sculpture. Rien à pâlir devant son vis-à-vis britannique.
Henry Moore a une longue histoire avec le Musée des beaux-arts de Montréal. Une grande exposition lui a été consacrée en 1968. L’institution montréalaise possède une trentaine de ses œuvres. C’est peu par rapport au Musée des beaux-arts de Toronto, où le Henry Moore Sculpture Centre compte 900 sculptures et œuvres sur papier.
Pour ce qui est de Georgia O’Keeffe, c’est la première fois qu’elle a droit à une exposition au MBAM. Quand on voit son travail sur les cimaises du musée, dont plusieurs toiles centenaires, on se dit qu’il n’était pas trop tôt pour le faire.
Avec ses fleurs multicolores, ses ciels bleus, ses paysages à leur plus simple expression, et les patines de ses petits et grands bronzes, cette exposition donnera, à celui qui la visite, zénitude et sérénité en cette saison improbable qu’est le printemps au Québec. L’événement montréalais est une exclusivité canadienne.
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