Serge Chapleau au Musée McCord: 50 ans de caricatures!
Quel bonheur! Je suis enfin sorti de ma grotte cette semaine! J’ai fait ma première sortie culturelle dans un musée depuis des mois.
La dernière fois, c’était en février pour voir l’exposition de photos Griffintown du photographe Robert Walker au Musée McCord (toujours à l’affiche), et cette fois, au même endroit, pour m’immerger dans l’univers du caricaturiste Serge Chapleau dont on célèbre les 50 ans de carrière en exposant 150 de ses dessins.
Si vous avez un certain âge, vous vous rappelez des débuts de Chapleau. Ses premières caricatures ont été publiées en 1972 dans le magazine Perspectives, encarté dans tous les grands quotidiens du Québec (jusqu’à 800 000 lecteurs!). Ses dessins en couleur, très fignolés, ont tout de suite plu au public.
«Dès ma première contribution, une caricature de Gilles Vigneault pelle à la main chantant Mon pays c’est l’hiver, j’ai fait un hit. Ça a parti ma carrière. Les fans de mon travail affichaient mes caricatures dans les toilettes ou ils les conservaient dans des scrap books. D’ailleurs encore beaucoup de gens veulent me faire cadeau de leur collection.»
Parmi ceux qui découpaient les dessins de Chapleau, il y avait un certain Christian Vachon, aujourd’hui conservateur et gestionnaire de collections au Musée McCord, dont celle du Fonds Chapleau qui compte plus de 7000 caricatures.
Y a du Gérard là-dedans
Christian Vachon, qui agit comme commissaire de l’exposition Chapleau – profession : caricaturiste, a mis des heures avec Chapleau lui-même à faire le choix de ce qui serait présenté.
L’exposition est divisée en quatre sections: la période avant la caricature, les dessins de vedettes du Perspectives et du 7 Jours, l’observateur politique au journal Le Devoir et à La Presse et toute l’aventure autour de son emblématique personnage Gérard D. Laflaque.
La première section de l’exposition présente des documents inusités comme un dessin d’écureuil réalisé par Chapleau alors qu’il avait 9 ans, l’affiche du ballet Tommy, spectacle mythique des Grands Ballets Canadiens, la pochette du disque La sexualité d’Yvon Deschamps, ou une représentation futuriste d’un livreur de pizza dont la fusée arbore le nom du commerce: Pizza Chez Gérard!
Eh oui, Gérard est présent dans l’univers de Chapleau depuis bien avant la naissance de Laflaque.
«Dans ma famille, le mononcle parfait, c’était un Gérard!»
Il est intéressant de voir aussi le premier portait qu’il réalise. Dans le style des «Grandes gueules» du magazine Pilote, il dessine, à partir de la pochette d’un disque, la tête de l’accordéoniste cajun Nathan Abshire. On dirait un proche parent de Gérard. Il ressemble aussi à ces personnages qui reviennent régulièrement dans les caricatures de Chapleau, ces malfrats qu’on croirait sortis des années 60, fumant le cigare et buvant du scotch. La dernière fois que Chapleau nous les a ressortis, c’était le 6 juin dernier. Ils se réjouissaient du projet de loi sur la relance de l’économie du gouvernement Legault.
«Je les ramène au moins une fois par année. C’est connu. Je fais exprès. Ils représentent bien les magouilleurs de ce monde qui ne changent pas.»
Métier: caricaturiste
COVID oblige, nous n’étions que trois journalistes masqués à la fois pour la visite de presse avec Serge Chapleau, qui nous a reçus visière baissée, ironique pour un homme qui a fait toute sa carrière visière levée.
«Il y a un caricaturiste anglophone qui disait "la caricature se pratique avec la précision d’un chirurgien et l’intention d’un boucher". C’est ça que je fais. Je regarde ce qui se passe et je dessine la bêtise humaine. Y en a tous les jours.»
Forcément, son travail lui a valu beaucoup d’inimitié. Le comédien Émile Genest, qui compte parmi les fâchés, ne lui a jamais pardonné son dessin.
«Émile Genest se vantait d’avoir tourné plus d’une centaine de films aux États-Unis. Le jour où il revient à Montréal pour animer une émission à CJMS, il prétexte qu’il ne pouvait refuser une offre aussi alléchante. Ben voyons, on ne laisse pas une carrière florissante en cinéma à Hollywood pour faire de la radio à Montréal. J’ai mis en doute ses prétentions en le montrant sur un plateau, mais derrière un spot. Dans le phylactère il y avait le réalisateur qui criait "Émile! bring that spotlight over here".»
Quand Lise Payette invite Serge Chapleau à son émission Appelez-moi Lise, le caricaturiste vient avec un dessin de cinq pieds de haut dans lequel l’animatrice trône sur un pèse-personne tenant en laisse son coanimateur Jacques Fauteux.
«Elle avait été avertie et, bonne joueuse, elle avait répliqué: "puisqu’il faut en rire!"»raconte Chapleau.
Au début du projet, le commissaire Christian Vachon voulait éviter d’alourdir l’exposition avec trop de textes, mais au cours des réunions de production regroupant des gens de différentes générations, il est apparu évident qu’il fallait contextualiser les caricatures. En effet Camil Samson, Pierre Lalonde ou Réal Giguère n’ont pas la notoriété d’une Céline Dion, d’un Donald Trump ou d’un Jean Chrétien. Les bas de vignettes sont donc bienvenus. Ils permettent au grand public d’apprécier les subtilités des dessins exposés, qui couvrent quand même 50 ans d’actualité que tout le monde n’a pas eu le privilège de suivre.
Le caricaturiste a-t-il des chouchous?
Quand on demande à Chapleau s’il a des sujets préférés, le nom de l’ancien premier ministre Jean Chrétien fuse sans hésitation.
«Ce gars-là est fin, drôle, flyé. C’est un excellent conteur d’anecdotes. Le dessiner était un plaisir. Je lui ai même donné une caricature originale. Il m’a alors soufflé à l’oreille: "vous en avez fait des biens plus méchantes que ça!"»
Dans la section consacrée aux caricatures politiques – il y en a plus d’une centaine – on constate que le caricaturiste qui a œuvré au Devoir de 1991 à 1995 et à La Presse de 1996 à aujourd’hui, n’a jamais ménagé la classe politique. Que ce soit Stéphane Dion en rongeur, Gilles Duceppe avec son bonnet de douche ou Bill Clinton en érection dans son pantalon, le dessinateur n’a pas d’égal pour toucher là où ça fait mal.
Est-il plus libre maintenant qu’il travaille pour un OBNL (La Presse+ est désormais un organisme à but non lucratif) qu’à l’époque où son journal était la propriété de Power Corporation?
«Aucune différence, tant qu’on me câlice la paix! J’ai des boss qui n’ont pas froid aux yeux. On a déjà reçu une mise en demeure des avocats des éditions Casterman parce que j’avais représenté Tintin dans une caricature. La direction en a fait fi, on est allé de l’avant… et il n’y a pas eu de poursuite.»
Qui aime bien châtie bien
Serge Chapleau a toute une mémoire. Malgré la quantité astronomique de caricatures produites en 50 ans, il dit se souvenir du contexte de bon nombre d’entre elles. Cela lui permet de ne pas trop se répéter, ni s’acharner.
«Moi, je n’haïs aucune personne que vous allez voir sur les murs ici. Je respecte les artistes, les politiciens. Mon travail c’est de mettre en évidence leurs défauts ou d’exploiter leurs gaffes. C’est ça la caricature, pas obligé de porter le couteau dans la plaie.»
Le dessinateur doit cependant avoir la couenne dure, car il est lui-même sujet à beaucoup de critiques. Il confie recevoir 7 à 8 messages haineux par matin.
«Récemment, quelqu’un n’était pas content de mon dessin de Horacio Arruda dansant le moonwalk. La personne menaçait de se désabonner du journal. C’est parce qu’on est gratuit Monsieur! Dans le temps, il fallait écrire sa plainte sur une feuille, acheter un timbre, mettre l’enveloppe à la poste, ça éliminait beaucoup de réactions à chaud.»
Cette dictature des trolls ne va pas arrêter Chapleau de dessiner. Même que la COVID lui a donné, de son propre aveu, un petit regain.
«C’est fou tout ce que ça ouvre comme possibilités. Tous les sujets sont bons avec la COVID. En plus, en confinement, je me suis laissé aller à dessiner plus longtemps.»
Au risque de faire des tendinites?
«Je souffre déjà de la maladie de Dupuytren, qui me crochit les doigts. Je vais subir ma sixième opération cet été. J’en suis devenu chum avec mon chirurgien, à qui j’ai demandé de m’en trouver un bon pour la prochaine fois!»
Comme vous voyez, il y a toujours de l’humour et de la dérision avec Chapleau qui ne manque jamais de répartie, que ce soit lui qui parle ou ses caricatures.
L’exposition est à l’affiche jusqu’au 7 mars 2021. Le Musée recommande de réserver son moment de visite à l’avance et de porter le masque.
Coup de cœur pour deux vidéos
Un somptueux vidéoclip
Cette semaine la chanteuse de jazz américaine Melody Gardot a lancé à Paris, la ville où elle vit son confinement, une nouvelle chanson intitulée From Paris with love. Magnifique! Elle est accompagnée par 60 musiciens recrutés à travers le monde par le truchement des réseaux sociaux. Chacun a joué sa partition à partir de son pays d’origine (Corée, États-Unis, Brésil, etc.). Pour le vidéoclip, des fans ont envoyé leurs bons baisers de Paris, Bucarest, Lisbonne, Montréal, New York, Mexico, Los Angeles, etc. Le résultat, en noir et blanc, est somptueux.
Une fin d’année scolaire touchante
C’était la fin d’une année scolaire bien particulière cette semaine. Les beaux moments vécus par les enfants, les enseignants et les parents sont très nombreux. J’ai craqué pour cette vidéo où des enfants fréquentant l’école FACE interprètent la chanson Kalimando de René Dupéré.
FACE est une école à vocation artistique de la CSDM pour laquelle j’ai beaucoup d’affection, mon fils l’ayant fréquenté pendant 12 ans. La vidéo a été réalisée par des parents et offerte au professeur de chant de leur enfant pour souligner son départ à la retraite. C’est tellement beau et tellement représentatif de la diversité montréalaise que j’en ai versé des larmes en la visionnant.