Adaptation du roman RU au cinéma: migration réussie
La transposition d’un livre au cinéma est toujours une opération périlleuse. Il y avait lieu de s’inquiéter de l’adaptation du livre RU de Kim Thúy au grand écran. Ce roman initiatique, qui a été un grand succès populaire au Québec et à l’étranger, n’a pas la fibre d’un blockbuster. L’écriture si fine de cette auteure qui a fait sienne notre langue française appelait obligatoirement un traitement tout en dentelle, capable de poésie et d’onirisme. Eh bien, c’est ce que le réalisateur Charles-Olivier Michaud et le scénariste Jacques Davidts offrent cette semaine dans un cinéma près de chez vous.
Dans RU le roman, Kim Thúy raconte le déracinement de sa famille contrainte de fuir le Vietnam lorsque les communistes prennent Saigon, leur épisode en mer et dans les camps qui leur vaut le qualificatif de boat-people, et l’arrivée au Québec avec des milliers d’autres compatriotes errants.
Il y a tout ça dans le récit de RU le film. Pas chronologiquement, mais dans une suite d’allers et retours dans le temps sous forme de flash-back qui font voir les contrastes entre l’univers douillet de cette famille à l’aise, l’horreur de la vie de réfugiés et l’hébétude qui est le lot de ceux qui doivent se refaire une vie dans un nouveau pays.
Nous vivons ces étapes à travers le regard de Tinh, jeune fille timide qui observe plus qu’elle ne parle. Et c’est là que réside tout le génie de cette adaptation. Le réalisateur Charles-Olivier Michaud a donné à son film un rythme lent qui laisse le temps au regard de Tinh de se poser, le tout magnifié par un directeur photo, Jean-François Lord, très sensible. Les scènes se déroulant au Vietnam sont très prenantes, alors que les images de l’hiver québécois distillent une sorte d’optimisme avec la blancheur de la neige et les nuances de ciel bleu, qui sont autant d’invitations à apprécier la vie.
En ce qui a trait aux dialogues, le scénariste Jacques Davidts n’a pas essayé de faire dire des choses trop précises au personnage central. On est plutôt dans l’évocation, dans l’impression. La jeune comédienne Chloé Djandji est captivante à observer dans l’expression de son mutisme. L’alter ego de Kim Thúy à l’écran n’a pas tant de texte à dire, on lui demande de jouer à l’éponge qui gobe tout ce qui se passe autour d’elle et, on le sait maintenant, toutes ces images emmagasinées serviront un jour de trame à ses livres.
Il y a aussi la musique de Michel Corriveau, particulièrement les pièces au piano, qui contribue à la gravité du film.
Les diamants qu’on dissimule dans les cols des chemises des enfants avant la fuite, l’autodafé de la bibliothèque familiale, la vendeuse de pain et son bébé qui meurent en marchant sur une mine, la cousine abandonnée sur place, c’est avec ces souvenirs, proches du syndrome post-traumatique, que Tinh débarque au Québec, terre d’accueil, de neige et de froid.
À ce propos, le film nous présente comme une société bienveillante, accueillante, généreuse, mais un peu dépassée par l’ampleur du drame que les familles échouées sur nos arpents de neige ont vécu.
J’ai craint en voyant la bande-annonce qu’on nous dépeigne comme folkloriques, mais j’ai finalement trouvé le portrait très juste au point de pleurer comme une Madeleine lors d’une scène se passant à la cabane à sucre.
Dans RU, l’illusion est parfaite. On se croirait vraiment dans le Québec de la fin des années 1970. Les bagnoles sont immenses, les bancs de neige, impressionnants, la gastronomie, rudimentaire, la mode, intense. Marie-Hélène Lavoie et Rosalie Clermont, respectivement à la direction artistique et aux costumes, ont fait un travail remarquable, y compris pour tout ce qui concerne la reconstitution du Vietnam, des camps de réfugiés et des scènes en mer.
Jamais un film québécois n’aura compté une aussi importante distribution asiatique. On peut presque parler d’un exploit tant il a dû être délicat de demander à ces acteurs et figurants de revivre cette page horrible de l’histoire du Vietnam.
Jean Bui et Chantal Thuy, dans les rôles de parents de Tinh, Olivier Dinh et Xavier Nguyen, dans celui des frères, sont très convaincants dans leur incarnation du stoïcisme de leurs personnages devant tout ce qui leur arrive. Patrice Robitaille, Karine Vanasse et Mali Corbeil Gauvreau ne sont pas en reste. Ils font honneur à ces centaines de familles québécoises qui ont accueilli les 15 000 réfugiés arrivés au Québec.
En fin de compte, RU, c’est plus qu’un film. C’est une leçon de résilience, un modèle de fraternité humaine, un exemple d’intégration réussie. À l’image de Kim Thúy, quoi!