La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Robert en CharleboisScope, un spectacle dont on se souviendra

Quel est le meilleur spectacle que tu as vu dans ta vie? C’est une question qu’on me pose souvent, et pour respecter le jeu, je donne une seule réponse: Leonard Cohen au Centre Bell en novembre 2012. À partir de maintenant, je ne pourrai pas résister à l’envie d’ajouter: et Robert Charlebois à la salle Wilfrid-Pelletier le 6 juin 2019. Eh oui! Robert en CharleboisScope était à ce point extraordinaire! Vous l’avez manqué? Vous pourrez vous rattraper. Des supplémentaires seront données à l’automne à Montréal et Québec, en plus de Sherbrooke et Ottawa.



Robert Charlebois, c’est un trésor national assis sur un patrimoine chansonnier fabuleux. À 74 ans (il aura 75 ans le 25 juin prochain), il a la chance d’avoir la forme et la voix pour faire honneur à n’importe laquelle des chansons de son répertoire. C’est notre Mick Jagger à nous.

Claude Larivée, le gérant de Charlebois et metteur en scène du spectacle, n’a pas conçu un tour de chant pour accommoder un retour pépère de son artiste. Oh que non! Ce show-là, c’est de la dynamite, un feu d’artifice, un tour en manège! Pendant plus d’une heure et demie sans entracte, on en a plein la vue et les oreilles.

Photo: Bruno Destombes

Il y a dix musiciens autour de notre garou en feu, y compris une section de cuivres et deux batteries, pour que les tounes qu’on aime sonnent comme dans nos souvenirs. Tout écartillé, Les ailes d’un ange, Dolorès, Te v’là, Le mur du son, Entr’deux joints, J’t’aime comme un fou n’ont pas pris une ride. Ordinaire et Je reviendrai à Montréal sont toujours aussi poignantes. California et Lindberg, toujours aussi planantes, avec Louise Forestier aux chœurs. Charlebois reprend même avec elle la très apocalyptique chanson de l’Osstidcho, La fin du monde, endisquée il y a 50 ans sur le microsillon Québec Love.

Photo: Bruno Destombes

Ce qui décuple notre plaisir, c’est que toutes ces pépites sont visuellement enrobées dans des projections complètement hallucinantes qui se déploient sur toute la largeur de la scène de la salle Wilfrid-Pelletier. Vous comprendrez qu’appeler le show Robert en CharleboisScope n’est pas juste une coquetterie de marketing, c’est vraiment ce qu’on nous sert, et il y a eu un travail «d’archéologie» pour rendre ça pertinent et percutant.

On est allé fouiller dans les archives de Charlebois pour illustrer les chansons. Par exemple, pour Fu Man Chu, la déjantée toune de Marcel Sabourin (qui était dans la salle, oui, oui en plein de dedans), on a joué dans les images de Un génie, deux associés, une cloche, un western-spaghetti dans lequel Charlebois a partagé la vedette avec Terrence Hill et Miou Miou en 1975. Ça colle tellement parfaitement que c’en est pas croyable!

Photo: Bruno Destombes

Même chose pour Mon pays. Charlebois interprète les paroles de Réjean Ducharme («Ça arrive à manufacture, les deux yeux farmés ben durs…»), devant un montage d’images de lui tout jeune dans le film Jusqu’au cœur de Jean-Pierre Lefebvre. Bingo! Comme spectateur, on est doublement comblé.

Contrairement au spectacle PY1 de Guy Laliberté, dont je parlais la semaine dernière, celui de Charlebois fait la démonstration que des projections, ça peut être puissant… quand il y a un humain devant! Étonnamment, c’est la même compagnie, 4U2C-Cirque du Soleil, qui a travaillé aux projections des deux spectacles.

En février dernier, Robert Charlebois lançait dix nouvelles chansons sur un disque intitulé Et voilà.

Photo: Bruno Destombes

Il nous en fait quatre d’entre elles sans jamais que ça jure avec le reste. C’est comme si Le manque de confiance en soi de Réjean Ducharme, Musique de chambre de Simon Proulx, Des livres et moi de Marie Dabadie et Et Voilà, signée de sa main, étaient déjà des classiques.

Tous les éléments de ce spectacle s’enchaînent avec perfection et naturel, sans temps morts, procurant une variété de sensations. On est au-delà de la seule nostalgie. C’est vivant, vibrant, simple, efficace, sincère… et actuel.

Bref, une prestation de ce niveau, c’est déjà une rareté. Quand on réalise que c’est un rendez-vous qui ne pourra se répéter à l’infini vu l’âge de l’artiste, on se considère choyé d’avoir partagé ce moment. Le genre de spectacle dont on dit: j’y étais! C’est la grâce que je vous souhaite.