Riopelle grandeur nature des 7 Doigts: géant!
L’année du centenaire de Jean Paul Riopelle se conclut dans l’apothéose. Après une avalanche d’événements autour de l’œuvre du peintre disparu le 12 mars 2002, la compagnie de cirque les 7 Doigts nous offre un épilogue géant avec Riopelle grandeur nature. Ce spectacle est une célébration vibrante de la créativité de cet immense artiste et de son rapport avec la nature.
«En dehors de la nature, y a pas grand-chose, pas les musées en tout cas», m’avait dit Jean Paul Riopelle en entrevue en 1991.
C’est à partir de cette prémisse qu’il n’y a rien de plus important que la nature que le concepteur Samuel Tétreault a construit son spectacle.
Du premier hibou empaillé que son professeur Henri Bisson lui demande de peindre, à L’hommage à Rosa Luxemburg, 40 mètres de choses de la nature «pour oublier grande blessure», comme dit Félix dans Le Tour de l’île. C’est toute l’essence de l’œuvre de Riopelle qui défile sous nos yeux en 80 minutes.
Pour arriver à extraire l’essentiel de 60 ans de création, le plus sensible des fondateurs des 7 Doigts a convoqué la vidéo, le texte, la musique et, bien entendu, l’art du cirque.
Le spectacle est présenté dans un des studios de création des 7 Doigts du boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Il y a de la place pour une centaine de personnes seulement, ce qui confère beaucoup d’intimité à la représentation. Le public, partagé de chaque côté d’une scène placée au centre, est entouré d’écrans géants sur lesquels sont projetées des œuvres de Riopelle, de toutes les époques (les mosaïques, les icebergs, les ficelles, les oies) et de toutes les techniques (huile, collage, gravure, bombe aérosol).
Yseult Riopelle, fille du peintre et gardienne d’une grande partie de son œuvre, est créditée au spectacle. On souligne sa généreuse collaboration, qui ne fait aucun doute. La quantité d’œuvres montrées est hallucinante, et elles sont toutes répertoriées dans le programme de la soirée. Comme toujours, l’auteure du catalogue raisonné de l’œuvre de Riopelle a veillé au grain.
Le public est donc littéralement immergé dans l’univers de Riopelle. Et même un an après avoir vu et revu son travail, on n’en revient toujours pas de l’énergie que cet homme a consacrée à son art, de la cohérence et de la profondeur de sa démarche artistique.
On sent que Samuel Tétreault aime et connaît profondément son sujet. Aussi, il prend grand soin de nous embarquer dans son voyage au pays de Riopelle en parsemant son spectacle d’éléments de narration qui nourrissent notre imagination. Les textes, lus par la comédienne Annick Bergeron, sont courts et d’une grande pertinence. Rien à voir avec la verbosité du Projet Riopelle de Robert Lepage.
La musique joue toujours un grand rôle dans les spectacles des 7 Doigts. Ici, toutes les pièces sont originales. Le compositeur en résidence de la compagnie, Colin Gagné, a composé une trame sonore remarquable qui s’harmonise aux époques et aux styles marquants de la carrière de Riopelle. Du jazz pour les années 1950, de la musique plus contemporaine pour accompagner la période de la gravure ou d’inspiration nordique pour illustrer sa rencontre avec les Premiers Peuples.
Et le cirque dans tout ça? Comme pour le spectacle Bosch Dream, créé en 2008 autour de l’œuvre du peintre Jérôme Bosch, Samuel Tétreault a bien su doser l’équilibre entre performance et émotion.
Les disciplines circassiennes cèdent souvent leur place à la danse, parce que probablement il n’y avait rien de plus approprié pour représenter la fougue du peintre dans son atelier, un des moteurs du spectacle.
Guillaume Paquin est stupéfiant dans un numéro qui imagine Riopelle en train de créer à la spatule les gigantesques toiles qui ont lancé sa carrière.
On retrouve aussi Guillaume Paquin dans un duo éperdu avec Claire Hopson, qui incarne une Joan Mitchell aussi jusqu’au-boustiste dans sa pratique que ses amours.
Camille Tremblay offre pour sa part un des plus beaux numéros d’équilibre sur cannes qu’il m’ait été donné de voir. Elle devient un iceberg à la dérive parmi les fameux tableaux blancs de Riopelle créés après ses visites dans le Grand Nord canadien.
Saluons aussi la présence de Saali Kuata, artiste de Kuujjuaq, dont l’aura magnifie un numéro inspiré du travail que Riopelle a fait sur les ficelles, un jeu ancestral des Inuits.
Le spectacle s’achève sur un tableau fulgurant: la création de la fresque L’hommage à Rosa Luxemburg. Pendant que sur le bord de la scène Arthur Morel Van Hyfte reprend les gestes du peintre, bombe aérosol en main, Claire Hopson et Guillaume Paquin nous reviennent dans une danse de la mort extrêmement émouvante où celui qui reste doit se résoudre à laisser s’envoler un alter ego jamais oublié.
Nous sommes finalement entourés de la fameuse fresque projetée sur les écrans qui ceinturent la salle. Ouf!
Si l’ambition de la Fondation Riopelle était de profiter du centenaire de l’artiste pour mieux nous le faire connaître et apprécier, hors de tout doute, le pari est gagné avec ce spectacle. Du reste, cela ne nuira pas à sa cote non plus.
Le spectacle est déjà un succès. Il risque d’être bien difficile d’obtenir des billets, la salle ne comptant que 155 places. Néanmoins, vous pourrez toujours vous rabattre sur l’exposition présentée dans le foyer du siège social des 7 Doigts au 2111, boulevard Saint-Laurent.
En plus d’une reconstitution approximative du studio de Riopelle, une panoplie d’œuvres, sur une variété de supports, et appartenant à une diversité de collectionneurs, sont exposées.
Il y a notamment un tableau rarement vu appartenant à Lune Rouge, la société de Guy Laliberté, et un moulage de la sculpture Jean Paul allongé et pensif de Roseline Granet différent de celui vu à l’exposition du Musée des beaux-arts d’Ottawa.
Il y a, finalement, une réponse à ceux qui se demandent quel rapport Jean Paul Riopelle entretenait avec le cirque. L’artiste avait connu la fameuse famille Bouglione à Paris, et aimé cette faune.
Aussi, lorsque son galeriste Michel Tétreault, le père de Samuel, l’a sollicité à la fin des années 1980 pour créer une œuvre sur ce thème à offrir à un encan au profit de l’École nationale de cirque, Riopelle a dit oui. Cela a donné un album fait en collaboration avec Gilles Vigneault. L’album Le cirque a été reconnu en 2014 «bien culturel exceptionnel et d’importance nationale comme patrimoine culturel». On peut en apprécier quelques éléments grâce à un prêt d’Huguette Vachon, la dernière conjointe de Riopelle.
L’exposition est présentée jusqu’au 10 mars. Des ateliers créatifs multigénérationnels seront offerts durant la relâche.