La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Riopelle est partout

Le 12 mars 2002, le peintre Jean Paul Riopelle quittait ce monde, laissant derrière lui une œuvre immense. Le 7 octobre prochain, il aurait eu 100 ans. En cette année de son centenaire, sa mémoire ne cesse d’être célébrée. Riopelle est littéralement partout, et encore beaucoup à Montmagny.



Pour s’approcher au plus près de l’univers de Riopelle, il faudra impérativement mettre le cap sur la capitale de l’oie blanche en 2023. La région de Montmagny a en effet été le dernier lieu de création de l’artiste.

À compter du 16 juin, et jusqu’au 17 septembre, la bibliothèque de Montmagny présentera une exposition unique préparée en collaboration avec Huguette Vachon, celle qui a partagé les dernières années de sa vie, entre sa résidence de L’Isle-aux-Grues et son atelier de L’île-aux-Oies.

L’objectif de cette présentation étant de dire à l’artiste disparu depuis 20 ans tout l’amour qu’on lui porte, l’exposition a été baptisée Mon cher Jean Paul. Voilà un brillant clin d’œil à la chanson Gens du pays de Gilles Vigneault, un grand ami du peintre.

Affiche de l'exposition «Mon cher Jean Paul» présentée à la bibliothèque de Montmagny.

Pour donner le ton, Huguette Vachon a sorti des joyaux méconnus de sa collection personnelle.

Elle présentera pour la première fois en public une œuvre dont elle est l’auteure. Fleurs pour Jean-Paul est une technique mixte, acrylique et pastel qui fait courir un frisson quand on la voit, même dans la fenêtre de mon ordinateur où je l’ai vue en primeur jeudi matin le 16 février.

Fleurs pour Jean-Paul, Huguette Vachon, 1995. Technique mixte

Voici  l’échange Messenger que nous avons eu, Huguette Vachon et moi, à quelques minutes de son départ pour la première de Riopelle symphonique à Montréal.

«C’est un cadeau de moi à lui. J’ai offert cette œuvre à Jean Paul en 1995. Faire une peinture pour Jean-Paul, Riopelle quand même! C’est un message intime. C’est vraiment un mot d’amour à mon amoureux.»

C’est tellement une grande preuve d’amour, qui demande du courage aussi, ai-je ajouté.

«On a tous connu un amour intense! La proximité du couple rend généreux.»

Quand je lui demande pourquoi rendre public cette année ce cadeau si personnel fait à son amoureux il y a 28 ans, elle répond:

«Parce que c’est une exposition pour Jean-Paul, pour lui dire combien on l’aime. Je ne m’impose pas souvent... Je présente aussi un paravent de Jean- Paul, ainsi que trois photos agrandies que j’ai faites de lui où on le voit au travail, aussi bien dire une rareté car il était très jaloux de son intimité en période de création.»

L’exposition permettra aussi de voir des œuvres de collectionneurs et amis fidèles comme Champlain Charest, Marc Bellemare, Roch et Alice Gauthier, etc.

La Maison Étienne-Paschal-Taché, lieu historique national du Canada où Jean Paul Riopelle a habité de 1991 à 1993, aura aussi sa contribution. On prévoit y présenter une sélection d’objets et de matériaux de lithographie utilisés par Riopelle.

Quant au projet de musée-atelier sur lequel Huguette Vachon travaille de concert avec l’architecte Pierre Thibault, il poursuit son cours. La petite maison de L’Île-aux-Oies sera restaurée cet été.

Une visite dans la région ne serait pas complète sans un détour par la réserve naturelle Jean-Paul-Riopelle, site écologique d’une superficie de 48 hectares, et disposant de 3 km de sentiers. On s’y rend gratuitement par traversier (dès la reprise du service, l’horaire sera publié le 1er avril) ou par avion. Air Montmagny fait quotidiennement la traversée en 20 minutes.

Et, ça s’est confirmé cette semaine, la Corporation de la bibliothèque de Montmagny et Croisières AML proposeront le 2 septembre prochain une croisière sur le thème de Riopelle à bord du bateau le Vent des îles. Intitulée Dans le sillage de Riopelle, cette croisière sera une occasion unique de voir de près le paysage qui a tant inspiré notre peintre national.

Tous pour un Riopelle

Le centenaire de Riopelle, c’est aussi beaucoup l’affaire de la Fondation Riopelle. L’organisme, dirigé par Manon Gauthier, a réussi à mobiliser l’ensemble du milieu culturel pour faire de 2023 l’année Riopelle au Québec. Je n’ai pas souvenir d’une personnalité québécoise ayant inspiré autant d’artistes de disciplines différentes en même temps.

L’art magnétique, une murale de Marc Séguin

Ça a commencé à l’automne avec une immense murale de 60 mètres de haut à Montréal. L’art magnétique (Hommage à Jean Paul Riopelle), de l’artiste Marc Séguin, a été réalisée en collaboration avec l’organisme MU sur le mur aveugle d’un édifice à appartements du 625, rue Milton sur Le Plateau-Mont-Royal, l’arrondissement qui a vu naître le peintre en 1923. Comme la murale Tower of Songs représentant Leonard Cohen, celle en hommage à Riopelle est visible du belvédère Kondiaronk sur le mont Royal.

Riopelle symphonique

Le jeudi 16 février 2023 passera à l’histoire comme étant le jour où Riopelle est devenu musique avec la première mondiale de l’œuvre musicale Riopelle symphonique à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts.

Le compositeur et chef d’orchestre Blair Thomson a fait équipe avec le musicien Serge Fiori, grand fan de Riopelle, pour affronter ce défi de transposer sur une partition les grandes périodes de la vie du peintre.

Cette fresque en cinq actes s’est élaborée à partir de sept chansons de Fiori (La moitié du monde, La vague, L’étrange, Si bien, Laisse-moi partir, Seule, Jamais).

La première mondiale de l’œuvre musicale «Riopelle symphonique» aura lieu à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Crédit : Jean Paul Riopelle, Cap au nord, 1977. Huile sur toile / Oil on canvas, 200 x 301 cm. Collection - Huguette Vachon
© Succession Jean Paul Riopelle / SOCAN (2022)

L’Orchestre symphonique de Montréal, sous la direction d’Adam Johnson, est le grand partenaire de cette création auquel se greffent le chœur des Petits Chanteurs de Laval et le chœur Temps Fort.

Le directeur artistique Nicolas Lemieux a veillé à ce que cet événement unique en son genre compte aussi une signature visuelle forte. Les projections sont le fait de Marcella Grimaux, qui signe aussi la mise en scène. La designer Marie Saint Pierre, proche de Riopelle, collabore également. C’est elle qui signe les tenues de scène.

Après les trois concerts à Montréal (16-17-18 février), Riopelle symphonique sera repris par l’Orchestre symphonique de Québec en septembre prochain.

Riopelle et moi, l’incontournable biographie

Jean Paul Riopelle, c’est un mythe, une légende. Pour bien prendre la mesure de ce géant de notre histoire, il faut lire la biographie qu’Hélène de Billy a faite de ce personnage. À sa parution en 1996, le livre Riopelle étonnait par l’ampleur de sa recherche. L’auteure avait consacré quatre années à ce projet, fait plus de 500 heures d’entrevues et rencontré au-delà de 150 témoins. Vingt-cinq ans plus tard, le récit est toujours aussi passionnant, mais il faut le lire, ou le relire, dans la nouvelle version publiée chez Québec Amérique.

La version 1996 de la biographie de Riopelle par Hélène de Billy.

Riopelle et moi est devenu une brique de 450 pages, car Hélène de Billy a enrichi son ouvrage d’un making of absolument fabuleux. Elle raconte les multiples rebondissements qui ont traversé son aventure littéraire, comme sa nuit à dormir dans le lit du plus grand peintre abstrait américain et bête noire de Riopelle, Jackson Pollock, sa rencontre avec Joan Mitchell, l’abrasive artiste américaine qui a partagé plusieurs années de la vie de Riopelle, ou sa dernière rencontre avec le peintre Riopelle lui-même en pleines libations au bistro de Champlain Charest à l’Estérel.

Ce livre est comme une toile de Riopelle des années 1950: c’est éclatant, coloré, affranchi. À cette époque, l’artiste s’est mis à peindre au couteau, cueillant la peinture à même le tube. L’écrivaine fait de même. Elle ne lésine pas sur la matière pour faire le portrait-mosaïque de son sujet. Comprendre qu’on n’est pas dans le genre biographie autorisée. Je le répète, une lecture essentielle pour apprécier et comprendre les multiples propositions artistiques qui nous sont faites en cette année du centenaire de Riopelle.

La biographie de Riopelle par Hélène de Billy est comme une toile de Riopelle des années 1950: c’est éclatant, coloré, affranchi.

Riopelle en balado

Si vous êtes plutôt auditif, il faut écouter le balado de Stéphane Leclair sur Riopelle. L’animateur d’ICI Première propose une fresque sonore qui vise, comme le titre l’indique, à Dépeindre Riopelle. Au Québec, en France, dans le Grand Nord, on suit les traces de celui que le surréaliste André Breton avait surnommé le «trappeur supérieur».

Huguette Vachon, Gilles Vigneault, Marc Séguin, les enfants de Riopelle, sa fille Yseult, son fils Yann Fravallo-Riopelle, ses galeristes, Stéphane Leclair a rencontré des dizaines de personnes pour comprendre le génie et la démesure de Riopelle. Même son garagiste, parce que l’homme a aussi été un grand collectionneur de voitures!

Le balado compte sept épisodes d’une trentaine de minutes, tous disponibles sur le site OHdio de Radio-Canada.

Le balado de Stéphane Leclair, animateur d’ICI Première, propose une fresque sonore qui vise, comme le titre l’indique, à Dépeindre Riopelle.

Riopelle au théâtre

Dès le 25 avril, on jouera chez Duceppe la plus récente création de Robert Lepage, baptisée Le Projet Riopelle. Dans ce spectacle produit par Ex Machina, Lepage annonce un grand tableau de la vie de cet artiste sous le signe de la liberté, de la créativité et de la nordicité. Le spectateur aura l’occasion de revivre les différentes étapes de la vie du peintre, de ses débuts fracassants à Paris dans les années 1950,  jusqu’à la création de sa dernière grande œuvre L’Hommage à Rosa Luxemburg réalisée à L’île-aux-Oies en 1992. Luc Picard, Anne-Marie Cadieux, Violette Chauveau font partie de la distribution.

Le spectacle sera ensuite présenté au Diamant de Québec du 19 octobre au 19 novembre. Les billets seront disponibles en ligne à compter de midi le lundi 20 février.

Luc Picard dans le rôle de Riopelle, en répétition. Photo: François Latulippe

Un feu d’artifice pour les 100 ans de Riopelle 

La région de l’Outaouais soulignera avec faste le centenaire de Riopelle. Même l’art pyrotechnique s’invite dans la programmation dans le cadre de l’événement Pleins feux sur Riopellequi aura lieu du 18 au 22 mai. Le 21 mai, les Grands Feux du Casino peintureront le ciel du Lac Leamy avec des pièces pyrotechniques  évoquant la palette du peintre, sur des extraits de la Symphonie  Riopelle composée par Blair Thomson et Serge Fiori. La programmation compte également un volet gastronomique au restaurant Arôme du Casino. Le menu s’inspirera de l’univers de Riopelle.

Empreintes

La Galerie Montcalm, à Gatineau, se joint aussi aux célébrations du centenaire de Riopelle. Du 18 mai au 20 août, elle présentera Empreintes, une exposition comptant une cinquantaine d’estampes datant des années 1960 à 1990, des images inspirées de la nature, des saisons, de la chasse et de la pêche. La galerie possède une collection d’une centaine d’estampes dont une grande majorité sont désignées «biens culturels canadiens d’importance nationale». L’exposition sera gratuite.

Une grande rétrospective en octobre

L’année se terminera avec une rétrospective Riopelle au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), une première en 60 ans. Elle ouvrira le 27 octobre. C'est Mme Sylvie Lacerte qui agit comme commissaire de cette exposition qui circulera ensuite à l’international. Mme Lacerte faisait partie du trio de commissaires de la Balade pour la paix, la formidable exposition d'art public qui s'est tenue sur la rue Sherbrooke en 2017 à l'occasion du 375e  de Montréal.

Un lieu de mémoire: contexte d’existence

Au Musée d’art de Joliette, Jean Paul Riopelle sert de point de départ à une exposition qui s’intéresse à la manière dont les artistes représentent leur lieu d’origine lorsqu’ils vivent et travaillent à l’étranger. La commissaire Irene Campolmi, basée à Copenhague, a choisi dans la collection permanente du Musée d’art de Joliette une quinzaine d’œuvres de Riopelle (bronzes, peintures, collages) pour démontrer l’influence que ses longues années en dehors du Québec ont eue sur le travail de cet artiste qui, comme peu d’autres chez nous, a été en contact avec les forts courants du modernisme.

Parallèlement, on peut voir comment cinq artistes contemporaines venues de l’étranger ont intégré l’influence occidentale dans leur travail.

Cette exposition sera reprise au Musée d’art contemporain de Baie-Saint-Paul dès le 17 juin.

Riopelle et l’art populaire: objet trouvé, déformé, volé

La Malbaie aura aussi son événement Riopelle à proposer à compter du 16 juin. Le Musée de Charlevoix a fait appel à Yseult Riopelle, la fille aînée du peintre, pour monter une exposition en lien avec l’attachement que l’artiste avait pour l’art populaire. Il sera intéressant de se faire expliquer par cette véritable sommité de l’œuvre de son père la présence de divers objets et espèces d’animaux dans sa production artistique. Qu’on pense aux boulons, clous, vis, radiateurs, outils, carcasses d’oiseaux morts dans sa fresque L’Hommage à Rosa Luxemburg exposée au Musée national des beaux-arts de Québec.

Riopelle, Isle-aux-Grues, septembre 1991 par Bruno Massenet

 

Riopelle aimait le cirque

Riopelle aimait les artistes de cirque (on lui doit au moins une œuvre inspirée d’un membre de la célèbre famille de clowns Bouglione). La compagnie Les 7 Doigts de la main souhaite le rappeler. Un projet, Riopelle grandeur nature, est présentement en écriture. On me dit qu’il tient toujours, mais qu’il devrait être présenté en octobre plutôt qu’en juin comme annoncé.