Cinéma
Pour vivre ici ou le dilemme de la transmission
Qu’est-ce qu’on laisse à nos enfants? Qu’est-ce qu’on transporte de nos parents? Quel souvenir garde-t-on de nos grands-parents? Il faut bien s’appeler Bernard Émond pour faire un film avec des questions existentielles pareilles. Dans Pour vivre ici, son plus récent long métrage qui prend l’affiche en fin de semaine, le réalisateur de La femme qui boit, La neuvaine, La donation, retrouve son actrice fétiche, Élise Guilbault, pour suggérer des réponses à ce grand dilemme de la vie qu’est la transmission.
Dans ce film beau et austère comme l’est toujours le cinéma de Bernard Émond, Élise Guilbault incarne une femme qui perd subitement son mari, un travailleur d’usine reconnu pour sa grande bonté. Ses enfants, qui habitent à Montréal, accourent sur la Côte-Nord pour les funérailles, mais leur séjour sera de courte durée, car leur vie professionnelle ne peut souffrir une trop longue absence. Vous aurez compris que Bernard Émond parle aussi des régions qui se vident.
Baie-Comeau
Monique se retrouve donc à vivre son deuil seule, en plein hiver à Baie-Comeau. Au risque de nous donner l’impression qu’il ne se passe rien, Bernard Émond prend le temps d’installer le climat. Il nous montre une femme perdue dans ses pensées dans une maison sans vie, ou errant, parka sur le dos, dans les rues enneigées de la ville. Une femme qui confronte à la fois le froid, l’espace, la solitude, le manque.
Dans son incarnation, Élise Guilbault nous touche par la sollicitude de son regard, elle nous convainc de la résilience de son personnage par la seule détermination de ses pas dans la neige. Les images de Jean-Pierre St-Louis, qui baignent dans une lumière franche d’hiver, magnifient le tout.
Montréal
Le film se déplace ensuite à Montréal, où Monique se rend passer du temps auprès de sa progéniture. Le réconfort ne sera pas vraiment au rendez-vous. À force de vivre éloignée de ses enfants, on sent que Monique a moins de choses en commun avec son garçon, chargé de projet dans une multinationale, et sa fille, grande reporter. Ces deux-là vivent dans la grande ville, à un autre rythme que celui de Baie-Comeau, absorbés par leurs problèmes et leurs ambitions. Quand c’est la belle-fille immigrante unilingue anglophone qui est le plus à l’écoute, c’est qu’il y a un lien qui s’est rompu. Ce spectacle d’une mère qui se sent de trop auprès de ses enfants est bien cruel.
Sturgeon Falls
Monique met donc le cap sur Sturgeon Falls, en Ontario, la ville où elle est née. Là encore, il y aura bien peu de choses pour remplir le vide qui l’habite depuis la mort de son mari. La rue principale est méconnaissable, l’église de son village et la maison de ses grands-parents ont été démolies, la maison familiale est à vendre. Elle ne connaît plus personne. Dans ce contexte, difficile pour cette femme qui a perdu l’homme avec qui elle a partagé sa vie de savoir qui elle est, où elle va et ce qu’elle va laisser. Ce sont de vraies questions qui, dans le monde changeant qui est le nôtre, sont de nature à nous interpeller.
Cul-de-sac
Le film aurait pu conclure que le passé s’efface bien vite et que peu de choses nous survivent, mais Bernard Émond voulait être plus optimiste que ça. Il met donc sur le chemin de Monique une ancienne belle-fille, jeune femme préoccupée du sort des autres et attachée à sa Côte-Nord natale. Sophie Desmarais est très convaincante dans ce rôle de fille empathique et chaleureuse.
Mais le film, dont on a accepté le rythme lent dès la première image, se termine abruptement. Je dirais même en queue de poisson, avec un séjour de Monique à l’hôpital aussi inattendu qu’inexpliqué, suivi du don du chalet du défunt en héritage à son ex-belle-fille en guise de transmission. Malheureusement, on a l’impression que le réalisateur ne nous a pas amenés à destination.